Adoptez Ratatouille !

Publié le 26 février 2008 par Argoul

Le petit rat Rémy vit en grande banlieue française, dans le grenier et les dépendances d’une vieille dame conservatrice. Curieusement, elle a la télé et des pantoufles mais pas de chat, et s’intéresse non au terroir mais à la « grande cuisine »… Rémy a un long nez recourbé et de l’odorat. Il adore confronter les saveurs, au contraire de ses rustres de frères. Il n’a de cesse de s’infiltrer dans la cuisine pour humer les épices et lire la Bible du cuisinier Gusteau. Découvert, il est brutalement chassé à coups de fusil, avec toute sa tribu, et doit se réfugier dans les égouts. Le flot le mène sous Paris, à proximité d’un grand restaurant qui vient de perdre une étoile en même temps que son Chef : le restaurant Gusteau.

Rémy ne résiste pas, il s’introduit subrepticement dans les cuisines où s’affaire un bataillon de marmitons spécialisés, au savoir-faire très technique, régentés militairement. Un jeune ingénu s’est fait embaucher comme videur de poubelles. Séduit par l’art culinaire, il tente d’améliorer une soupe. Mais il frôle la catastrophe et Rémy le sauve de justesse, se rendant indispensable. Tous deux signent alors un pacte où le rat tire les ficelles et Linguini, le jeunot, sauve les apparences. Il y a une histoire d’amour, une histoire d’héritage, une happy end. Et Paris Ville Lumière, vue par l’œil nostalgique et un brin touristique de l’Américain moyen (qui n’y est jamais allé). Un Paris de soirée, restaurant et couples compassés, pavés et lampadaires, 2CV et vélo…

Ce film d’animation est sorti en salle fin juin 2007 ; il vient de sortir en DVD. Oscar tout récent du meilleur film d’animation de Los Angeles, entre autres récompenses, il est une véritable récréation, pour les enfants comme pour les adultes. Il est très bien fait, ce film en images de synthèse fabriqué par Pixar Animation Studios pour Walt Disney.

Peut-on y voir une parabole de rédemption ? La banlieue montée à Paris, l’apprenti doué qui part de rien, le sans-grade qui se fait un nom – tout cela est biblique et bien américain. Tout le monde peut réussir, les premiers seront les derniers. Mais, à quelques détails, on peut y voir aussi une parabole de la condition juive - dans sa caricature. Le « rat » suscite le dégoût par son apparence, bien que son « nez » lui permette de « bonnes affaires », soit dans la « fripe » (les ordures), soit dans le « luxe » (la grande cuisine). On craint le rat (”quelle horreur !” s’exclame une mondaine), on le chasse à coups de gourdin, on cherche à le gazer (la vieille, en chasse, porte un masque à gaz), on le rafle en cage de fer. La bureaucratie a un plan d’éradication (les Services d’Hygiène). Des boutiques dans Paris affichent des rats crevés en vitrine, et font recette en vendant des paquets de « rat killer » chimiques. Dans les greniers à la campagne ou dans les égouts de la ville, les rats méprisés par « les hommes » ne vivent-ils pas d’industries et de rapines, tout comme les gnomes maléfiques dans ‘l’Or du Rhin’ de Wagner ?

Mais le rat est malin. Intelligent, sociable et rusé, il apprend vite n’importe quelle Bible et réussit tous les concours. Elu des dieux, ceux-ci l’aident en voletant autour de lui lorsqu’il doute. Soutenu par un grand sens de la famille, il fait profiter sa tribu de ses aubaines. Il séduit les goys, il tire les ficelles : étonnantes scènes où, caché sous sa toque, Rémy fait agir Linguini comme une marionnette (ou un Golem) en tirant comme autant de leviers les mèches de ses cheveux. Il y a même un aspect sexuel (freudien) lorsqu’il le mord tout partout sur la poitrine, au début de leurs relations. Les ennemis du rat sont eux-mêmes typés : outre la vieille au masque à gaz, le Chef-adjoint Skinner a une tête de Palestinien, tandis que le triste critique Ego a la maniaquerie et le perfectionnisme que l’on prête aux Allemands de caricature. Il n’est pas jusqu’à la cuisine qui n’ait un vague air de camp de concentration où « le travail rend libre »…

Les deux scénaristes, Jan Pinkava à l’origine, puis Brad Bird, ne sont peut-être pas juifs. Le premier est tchèque et il est vrai que l’architecture des égouts parisiens arpentés par les rats a quelque chose du Prague de Kafka. La parabole est inconsciente, probablement plus biblique que contre l’antisémitisme. Elle peut d’ailleurs s’appliquer à tous les méprisés sociaux : les Noirs, les Beurs, les prolétaires. Mais, puisque notre Président a eu l’idée de nous remettre en mémoire l’Exception victimaire dont furent victimes les Juifs durant la Shoah, il est inévitable que le parallèle avec les caricatures du passé ressurgissent.

Aux enfants de CM2, sommés d’adopter un petit Juif à l’exception de toutes autres victimes de génocides, pourquoi ne pas proposer la fable de ‘Ratatouille’ ? Sous son air avenant et avec happy end, tous les graves problèmes des préjugés raciaux, des haines physiques, du travail méritant et de la reconnaissance sociale sont ici bien posés. Sans faire du Juif l’unique victime, comme si ledit « Peuple Elu » ne pouvait avoir d’autre destin. Adoptons le Rat « tatouille » ! Il représente tout Mal Aimé pour de mauvaises raisons, de race ou de caste. Voici une oeuvre de salubrité publique.

  • Ratatouille, le film en DVD 
  • Vues du film tirées du site Cinémotions 
  • Ratatouille, en image la vraie recette.