Efficacité, maîtrise, innovation, à-propos – Galileo incarne parfaitement la vision européenne.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse
Vendredi dernier a vu la mise en orbite de la première étape concrète du dispositif de géolocalisation européen, deux satellites d’une constellation qui doit en comporter au minimum 18 pour émettre un signal utilisable.
L’opération tout entière porte la marque d’une coopération remarquable entre les membres du projet. Le premier lancement symbolise cette unité: une fusée Soyouz tirée depuis la base de lancement d’Ariane en Guyane Française. Qui aurait imaginé cela au temps du Mur de Berlin! C’est l’Europe d’aujourd’hui, une union entre les fleurons technologiques russes et l’agence spatiale européenne, le tout exploité dans l’environnement difficile d’une colonie française en Amérique du Sud… C’est l’Europe-Monde.
La première victoire d’étape ne doit pourtant pas occulter les grandes difficultés qu’a traversé l’ambitieux programme depuis sa conception.
Si tout était allé comme prévu initialement, à ce jour nos téléphones bénéficieraient de la précision de Galileo. Le projet européen devait entrer en service en 2008. Cependant, une myriade d’obstacles commerciaux, techniques, politiques et financiers l’a ébranlé jusque dans son existence. (…)
Mis en œuvre par l’Agence spatiale européenne (ESA), Galileo devait être financé par un partenariat public-privé. En 2007, le plan s’écroule. Le projet est au bord de l’abandon. La Commission européenne décide alors de le financer entièrement de [la poche du contribuable], à l’époque. Coût: 3,4 milliards d’euros.
Mais les pays s’écharpent, notamment une Grande-Bretagne réticente et une France acharnée. Le cœur n’y est pas. Galileo est sauvé après de laborieuses tractations entre les États et le Parlement européen, qui permettent de trouver un accord en utilisant une partie des fonds agricoles non dépensés.
En 2010, c’est la douche froide: le système coûte 1,9 milliard de plus que budgété. Nouvelle crise. Après avoir pensé réduire la voilure – 18 satellites au lieu de 30 – les Européens trouvent des économies et des fonds. Les contribuables voient leur participation grimper de 1,9 milliard d’euros.
Oui, bien des obstacles se sont dressés sur le chemin de Galileo. Des obstacles politiques, logistiques, financiers, et même l’opposition absurde et partisane de certains industriels – des traîtres parvenus à s’intégrer au programme. Wikileaks a ainsi révélé le double-jeu de Berry Smutny, directeur d’un groupe allemand, OHB System, filiale du groupe allemand OHB Technology, expliquant que Galileo ne serait qu’une « idée stupide » défendue par la France à des fins militaire et qualifiant le projet visionnaire de « gaspillage de l’argent du contribuable. »
La société avait pourtant décroché auprès de la Commission européenne une commande de 566 millions d’euros pour la construction de 14 satellites. Certains ont vraiment l’art de cracher dans la soupe. Heureusement, le dissident a été débarqué de l’entreprise.
La construction du Monde de Demain, un monde Meilleur, plus Juste, plus Ouvert à l’Autre implique des sacrifices. Des sacrifices politiques et économiques. Mais la récompense sera grande, elle aussi.
Imaginez.
Projetons-nous à la fin de la mise en place initiale du programme Galileo, probablement quelque part au milieu de la décennie 2020-2030. Le dernier satellite est enfin mis en orbite, malgré quelques retards et quelques surcoûts. Notre bonne vieille Planète Terre, qui subit par ailleurs divers outrages de l’Homme, est désormais entourée dans l’espace par un élégant corset de satellites de positionnement émettant un signal, miraculeusement précis, sur leur position.
Ce signal ténu est capté par les antennes sophistiquées d’une ribambelles de produits d’avant-garde. Ces bijoux de technologie qui restent à inventer sont capables de savoir où vous vous trouvez sur la surface du globe. Exactement, avec une précision diabolique – de l’ordre du mètre d’abord, mais l’extension à trente satellite de la constellation Galileo pourrait faire tomber cette limite à trente centimètres.
Quelques cyniques ricaneront: « À quoi bon savoir où on se trouve? Je sais où je suis, devant mon ordinateur, merci. » Eh bien non, messieurs, vous manquez d’imagination! Figurez-vous que vous êtes en train de vous déplacer: plus jamais perdu! Aujourd’hui on a une carte routière, mais dans à peine dix ans on aura enfin le chaînon manquant – où on se trouve sur cette satanée carte!
L’automobiliste salive à cette idée. Mais voyez plus loin. Pensez à une possible intégration avec des cartes routières, permettant de planifier tout un itinéraire! Imaginez les possibilités d’interaction avec Internet où un utilisateur avisé pourrait demander à son logiciel favori « le restaurant le plus proche » (à supposer que le système soit prévu pour un usage aussi trivial) et le programme lui répondra en calculant tout cela à partir de sa position! Pensez au travail des géomètres, aux chantiers, aux aventuriers, aux services de secours, aux cartographes!
Et ce n’importe où sur la surface du globe! Quelle carte de visite pour l’Europe! Quel affront cinglant pour les Américains qui se croient à la pointe de la technologie!
Tout cela disponible dans dix-douze ans si tout va bien. L’ensemble de ces nouveaux services pourrait être regroupé sous le terme novateur de géolocalisation. Le monde de demain est à nos portes. Qui n’aurait pas hâte d’y être?
Malheureusement, il y aura des dérives, notamment l’utilisation de Galileo par des ennemis de la démocratie. C’est sans doute inévitable. Au moins, des islamistes afghans aux guérilleros d’Amérique du Sud en passant par les rébellions africaines, tous devront employer une technologie développée dans l’Union Européenne. C’est déjà ça de rayonnement culturel.
Est-ce de la science-fiction? Le lecteur est seul juge. Il est difficile de se projeter si loin dans l’avenir. Avec la crise financière que traverse le Vieux Continent, il n’est même plus certain que cet ambitieux programme spatial arrive à son terme. Mais il n’est pas interdit de rêver non plus. Aussi coûteux soit Galileo, ce sont des milliards judicieusement dépensés. A terme, ils permettront à l’Europe de prouver au monde son avance en technologie de positionnement. Galileo rendra disponible des services qui bouleverseront notre quotidien, au service de l’Humanité entière. Alors, une patience pleine d’espoir est sans doute la meilleure attitude à prendre, et tant pis si Galileo coûte un peu cher: il n’y a tout simplement pas d’alternative.
Efficacité, maîtrise, innovation, à-propos – Galileo incarne parfaitement la vision européenne.
Rêvons à son succès.
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Sur le web
Contrepoints a consacré plusieurs articles à Galileo.