Tuer le père : illusion sous acide

Par Kaeru @Kaeru


J'apprécie Amélie Nothomb. J'aimel'écrivain et la femme publique avec son grain de folie, sa distancequi frôle l'arrogance et sa perversité, cultivée avec finesse.J'aime la façon dont elle se met en scène et brouille les limitesentre fiction et réalité. Pour son dernier roman, Tuer le père,elle nous raconte un histoire censément vrai, comme pour Une forme de vie. Mais cette fois, Amélie n'est pas un actant,juste un auditoire attentionné qui prête l'oreille à une aventurerocambolesque et tordue.
Entre Végas et les grands-espaces...
Lors d'une soirée où sont réunisles plus grands magiciens du monde, Amélie (ou une narratricedéguisée habilement en Amélie Nothomb), fine observatrice,remarque la tension entre deux des invités. Le plus jeune, Joe Whip,est une célébrité. Alors que ses tours monopolisent les regards del'assistance, un homme plus âgé l'ignore avec superbe etostentation.
Curieuse, Amélie se renseigne et nous livre un contemoderne, l'histoire de ces deux hommes aux doigt agiles.
Joe Whip a eu une enfance malheureuse.Élevé par sa mère, une femme aux moeurs légères, il se retrouvelivré à lui même à 15 ans. Or, il habite à Réno, petite ville où se trouve aussi Norman Terence, le meilleur magicien du monde. Il vit avecChristina, une jeune femme douce, une artiste d'un genre particulier.
Joe débarque chez le couple, en quête d'un maître. Une relationétrange se met en place entre ses trois êtres : Joe en quêtede savoir, Norman qui se sent investi d'un devoir paternel, etChristina, femme idéale, incarnation de la beauté souple etsensuelle.  
Famille recomposée, décomposée
En un roman court aux phrases légèreset percutantes, l'auteur excentrique narre l'histoire de deux vies,de leur destinée. L'originalité de ce titre est d'abord de mettreen scène les relations entre des personnages masculins. Joe n'a jamais eu de père et leshommes que sa mère a fréquenté n'ont jamais pu satisfaire sa quêted'une image d'autorité et de modèle. Norman n'a jamais eu d'enfantet quand Jo arrive sur le pas de sa porte, il prend très au sérieuxsa responsabilité de professeur. Il veut lui transmettre plus qu'unsavoir-faire et des connaissances sur la magie. Morale et éthique dumagicien sont au programme.
L'intrigue s'esquisse. Tout leséléments sont en place pour que le manque d'amour de Joe soitcomblé et l'éveil d'un amour paternel chez Norman trouve un sujetd'affection. Il y a Christina. La jeune femme, jongleuse avec desbolas enflammées, est si parfaite en amante et amie qu'elle m'aparut étrangement lointaine. Un mouvement, la grâce, quelque chosede sauvage apprivoisé. Elle est un catalyseur. A son contact Joes'éveille au désir sexuel et le mécanisme bien huilé d'uncomplexe d'oedipe se met en branle. Mais est-ce vraiment ce qui setrame ?
Brelan truqué pour un bluff
J'avoue, j'ai lu le début du romand'un oeil distrait, pas vraiment emballé par l'histoire. Forcément,la question des relations père-fil ne me touche pas. D'autant que laprésence de Christina est étrangement évanescente. Pourtant, peu àpeu, je me suis laissée avoir. Des petits détails, la bonté deNorman, son intelligence, l'ambiguité de Joe, la droiture deChristina... Me voilà donc dévorant les pages. Pour une fois, je me suis faite avoiren beauté.Amélie Nothomb tend à structurer sesromans toujours de la même façon, un tic d'écrivain peut-être.Par conséquence, je suis rarement surprise. Je sens arriver lesretournements et souvent, non seulement je les anticipe mais jedevine même leur teneur. Là, j'ai été totalement bluffée. Jecrois que cet inattendu a contribué à me faire aimer ce livre.
Après tout, les magiciens sont lesrois de l'illusion mais surtout de la manipulation. Et Amélie aussia un talent certain dans ce domaine. J'extrapolerais même qu'ellenous a mijoté avec Tuer le père une mise en abîmepas piquer des hannetons, un livre léger et drôle, avec une pointede folie clinique.Copyright : Marianne Ciaudo