Une question me taraude

Si perçante que soit votre vue, pouvez-vous voir votre calvitie ? Je ne sais plus où j’ai lu cette interrogation, mais depuis je l’ai faite mienne et disons-le tout net, je suis salement ennuyé, pour employer un euphémisme.

J’ai une calvitie et sans que ma vue soit perçante, elle est tout à fait correcte. J’ai donc en main, si je peux écrire, les deux éléments de la question. On pourrait penser, dans ces conditions, que favorisé par la nature, je serais mieux placé pour répondre à l’interrogation. Rien n’est évident.

Si j’écarquille les yeux en grand, j’ai beau faire, je n’aperçois pas le sommet de mon crâne et a fortiori encore moins ma calvitie. Comme j’ai remarqué qu’on accroît la puissance de sa vision en plissant les yeux, un vieux truc de marin, j’ai tenté la manœuvre, mais ça ne donne pas de meilleurs résultats pour autant. Première constatation, même un super-homme avec un œil de lynx ne pourrait réussir cet exploit, ce qui a au moins une vertu, consoler les bigleux et autres oeils de taupes. Ce qui signifie aussi, que même quand on est doué ou avantagé dans un domaine, il y a toujours des éléments qui peuvent nous échapper.

Moi j’ai une règle, quand je ne sais pas faire quelque chose pour une raison ou une autre, j’imagine toujours une solution de contournement. Une ruse, pour parler plus simplement. Dans le cas qui nous intéresse – je vais peut-être un peu vite dans l’assentiment général, ce « nous » n’est peut-être que « m’ », me suive qui veut – il s’agit de trouver le moyen de me voir de dos ou de dessus. Avec un double jeu de glaces, l’une tenue au-dessus du trou dans la calotte se reflétant dans l’autre face à moi, j’aperçois parfaitement l’objet du désespoir de mon coiffeur.

La conclusion s’impose d’elle-même, dans la vie il n’est pas nécessaire d’avoir de grands talents ou dons exceptionnels pour réussir, il faut simplement avoir un peu d’astuce et de réflexion. Désormais, à la question saugrenue « Si perçante que soit votre vue, pouvez-vous voir votre calvitie ? » vous pourrez répondre « oui » sans hésitation. En supposant qu’on vous pose la question, bien entendu.