En prévision – et en guise de pilonnage publicitaire – de la sortie en France du film de Steven Spielberg « Les aventures de Tintin », nous voici gratifiés de toute une rétrospective des œuvres de Georges Remi, alias Hergé.
Moi qui suis une inconditionnelle à la fois de Hergé et de Spielberg, je me régale comme cette semaine en revoyant à la télévision « Les Aventuriers de l’Arche perdue (3° épisode) ». Ce qui est troublant toutefois, c’est que le génial créateur d’Indiana Jones déclare qu’il n’a découvert les aventures de Tintin qu’après avoir tourné ses films, tant les situations rocambolesques et les retournements spectaculaires du bel archéologue sont semblables aux aventures du petit reporter.
En attendant d’aller voir le film, et comme toujours lorsque je me retrouve ici au milieu de mes bibliothèques de bandes dessinées, j’ai choisi de relire le premier album des « Aventures de Tintin, reporter du Petit Vingtième, au pays des Soviets ». Un premier coup de maître, à y regarder de plus près. Car au moment (1929) où Georges Remi reçoit de l’abbé Wallez – propriétaire du journal – la commande de cette bande dessinée, Hergé est bien loin d’imaginer la réalité atroce de ce qui se passe en Union Soviétique, et qui atteindra des sommets lors de la Grande Famine de 1932. En fait, il a pour unique source de documentation l’ouvrage d’un consul de Belgique en Russie, Joseph Douillet : « Moscou sans voiles ». Certaines des scènes du livre sont carrément reprises dans leur intégralité comme l’épisode de l’élection sous menace de révolvers. ..Qui me fait penser aussi à l’épisode de la proclamation des résultats du scrutin de Côte d’Ivoire, lorsque devant les caméras, un séide de Laurent Gbagbo arrache le listing des résultats des mains du porte-parole de la Commission électorale.
Dans ma jeunesse, il n’était pas convenable de critiquer le communisme ou d’évoquer ses exactions. Cet ouvrage avait totalement disparu et était devenu mythique. Hergé lui-même ne voulait pas qu’il reparaisse. Jusqu’en 1981, face à de nombreuses éditions pirates. Cette édition de 1981 – qui m’apparaît à moi complètement contemporaine – fut ainsi tirée à 1500000 exemplaires ! C’est un fac-simile sans aucune adaptation – comme il est arrivé à certains tomes ultérieurs (la disparition des combattants de l’Irgoun, par exemple dans Tintin au pays de l’or noir). Une BD entièrement en noir et blanc, technique reprise plus tard par Hugo Pratt ( ?), avec déjà plein de gags qui seront des références : des jurons incompréhensibles (« Tarteifle » en allemand : qui pourrait me dire si ce n’est pas du dialecte bruxellois ?), l’éternuement qui révèle la présence cachée du héros, la boule de neige dévalant la pente et se fracassant contre un arbre (Temple du soleil), la branche maîtresse qui se rompt sur la tête de l’ennemi (Oreille cassée), Milou recouvert de bandages (Cigares du Pharaon)…C’est aussi l’un des rares épisodes où l’on voit Tintin ivre (avec L’Oreille cassée et le Crabe aux pinces d’or). Et en fin de volume, un délicieux hommage à Benjamin Rabier et à la Vache qui rit …Autre référence à rebours : un gag avec deux tigres, l’un gentil (c’est Milou déguisé), l’autre échappé d’un zoo ou d’un cirque. On dirait bien que la situation n’a pas échappé au scénariste de l’Impossible Monsieur Bébé (1938), un des films les plus drôles que j’aie jamais vus.Tout est donc déjà dans « Tintin au pays des soviets », y compris la violente critique du régime totalitaire le plus classique, mais pas seulement. Et puis, aujourd’hui, nous savons que cela n’était pas anecdotique !
Les aventures de Tintin, reporter du Petit Vingtième au pays des soviets (1930) réédité en 1981 par Casterman, 137 p (mais curieusement le n° de la page 1 est situé à la deuxième page ...) 20€.