Le journal Sud-Ouest nous apprenaithier que, vingt ans après la mort du peintre Mac-Avoy, ses héritiersvendent une partie des œuvres en leur possession, peintures etdessins, afin de « soutenir sa cote ». Des œuvres qu'onpeut voir et acheter via le site mac-avoy.com.
Mac Avoy, 1949 (source)
« C'est avec le portrait deWilliam Somerset Maugham que j'ai pris conscience que le portrait estune somme, et qu'il ne peut guère exister avant l'age de 70 ans, c'est à dire avant que tous les signes soient inscrits sur levisage. C'est avec le Gide que j'ai pris conscience de ce réseau -géographie de rides, de larmes, d'extase, de désespoirs, - qu'ilfaut apprendre à lire et à décanter, comme à l'école, lesfleuves, les rivières et les lacs. »G. E. Mac Avoy
Edouard Mac Avoy naît en 1905 à Bordeaux dansune famille aux origines irlandaises et catholiques par son père etcévenoles et huguenotes par sa mère (en miroir la famille telle que Gide rêvait la sienne). Il est envoyé en Suisse pourses études. Ses deux passions sont déjà le théâtre et lapeinture. A 18 ans il entre dans l'atelier de Paul-Albert Laurens (ami d'enfance de Gide) àl'Académie Julian. Chez les Valloton, il rencontre Bonnard etVuillard qui encouragent et suivent ses travaux. Il n'a que 19 anslorsque l'Etat fait l'acquisition pour le Musée du Luxembourg d'unenature morte présentée au Salon d'automne.
Dès les années trente il se consacrebeaucoup au portrait ; Edouard Herriot allant jusqu'à le comparer àPhilippe de Champaigne. Mais c'est après la seconde guerre mondialequ'il entame la série de toile débutée avec le portrait de Maughamet qui se prolonge jusqu'au portrait de Gide. Composition resserréeautour du sujet, fond, lignes et couleurs concentrés eux aussi dansune mise en scène en équilibre instable. En même temps naissentdes portraits à la théâtralité plus baroque, jusqu'au retour auxcouleurs vives et au symbolisme foisonnant des années 70.
On a des dessins et des esquisses peintes pour un portrait de Gide datés de 1948. Mais c'est en 1949 que Gide pose pour Mac Avoy.Un Gide en villégiature depuis le mois d'avril sur la Côte d'Azurauprès des Bussy et de Martin du Gard. Il a été victime d'uneattaque en février et, à peine arrivé en pleine forme, donne ànouveau d'inquiétants signes de faiblesse. Nouvelle attaque ; ilséjourne dans une clinique de Nice. Au moins de juin, Mac-Avoydécouvre un Gide « chancelant » et note dans son journal:
« Cannes, 29 Juin 1949Gide me convie à déjeuner demain, àla Colombe d'or à midi...Sur la terrasse aux Colombes déserte,je l'aperçois. Cet homme chancelant un peu, d'incertitude plus quede vieillesse, et qui n'est ni hors, ni dans la maison, indécis surle seuil, c'est André Gide.Il porte une très étonnant vieuxchapeau pointu couleur de mastic, une épaisse chemise rouge, d'unrouge grave, et un veston jeté sur les épaules, manches ballantes,qui glissent sans cesse et que Gide, tant bien que mal, sans cesserétablit. Il erre, en marge. La gêne qu'il crée, n'est autre quela gêne qu'il éprouve. Le regard a comme un envers et un endroit :terne, voilé, tourné vers l'intérieur; sombre quand il scrute etappuie. Les épaules tombent. Le geste est retenu.On pense à un violoniste qui joue unpeu court et n'utilise jamais la longueur de l'archet.Cette retenue n'est pas celle de latimidité mais la réticence du scrupule. »
Mac-Avoy prend des dessinspréparatoires, avec le chapeau pointu, ou cet étonnant nu de Gide. Lesséances de pose débutent en août dans la villa de Juan-les-Pinsoù Gide se repose. Mais son intérêt pour son portrait n'a pas faibli.C'est loin d'être la première fois qu'il pose et l'on sait combien il est chaque fois soucieux de son image, de l'image qu'il va laisser. MacAvoy veut voir « le scrupuleux désir de laisser de lui uneimage exactement conforme à la vérité »dans les remarques souvent intrusives de Gide dans son travail.
« Août 1949« Je suis tout obédience »me dit Gide, lors de la première séance de pose.« Mais si je peux émettre unsouhait, je vous demanderai, cher Mac Avoy, je vous demanderai demanière pressante, de faire en sorte que je demeure irrésolu. C'estce que j'ai d'indécis, qui est le meilleur de moi même... »Les séances ont lieu à Juan les Pinsoù Gide habite une villa louée d'une laideur extraordinaire.A Tourette-sur-Loup, où je remontevers 17h il n'est pas rare que la demoiselle des Postes me hèle:« Un message de Monsieur Gide ».J'ai conservé l'un d'eux : « André Gide fait dire à sonportraitiste que la diagonale du bras droit, si nécessaire àl'expression d'une fatigue qu'hélas il ne peut plus dissimuler, estdans l'état actuel du projet, prolongé par l'oblique du dossier dela chaise. Cela ne rend-il pas cette diagonale ostentatoire ? et neconvient-il pas de briser ces deux directions ?... »De tout autre que Gide eussé-jeaccepté une aussi directe intrusion dans mon travail ? De même,quand Gide me disait « cette ride, cher ami, que vous voyez icidévaler de ma narine, dut apparaître sur mon visage aux environs de1904. Celle-ci, plus tardive, date de 1909 ou 1910. Peut-être cerenseignement vous incitera-t-il à donner une prééminence légèrede l'une sur l'autre. »Cette minutie dans l'intérêt porté àsa propre personne, faut-il l'interpréter comme un complaisantégocentrisme ?J'y vois plutôt le scrupuleux désirde laisser de lui une image exactement conforme à la vérité.Aussi Gide m'a t-il gratifié du plusgrand témoignage de satisfaction, quand, devant la versiondéfinitive de son portrait – après 4 autres qui témoignent demon angoisse – il m'a dit : « Je l'habite, je le remplisentièrement. » »