Ça doit être un signe du temps ! On ne s’est jamais autant intéressé à la philosophie dans tous les milieux sociaux confondus, et on n’a jamais aussi peu pensé en général. Ah ! Elle est bien loin l’époque où un chanteur de variétés nous racontait que la France n’avait peut-être pas de pétrole, mais elle avait des idées ! A l’ère des combats idéologiques, de la conscience politique, des écoles philosophiques a succédé le strass, les paillettes et la culture de comptoir. De la société du spectacle au zapping, et au surf stérile sur Internet, l’esprit libre qu’avait imaginé un philosophe-arpenteur, l’esprit critique cheminant vers la vérité comme l’avait voulu Socrate a perdu de sa superbe et de sa crédibilité. Entre un BHL hier, et son digne successeur Michel Onfray aujourd’hui, la philosophie devient une sorte de prêt-à-penser bobo, bien-pensant, calibré pour les émissions de télévision, et leur désir d’assurer du temps de cerveaux disponibles aux publicités pour Coca-Cola !
Mais certes on a la prétention de penser de nos jours. On retourne les concepts, on les électrifie, on se branche, on se connecte, on amplifie… Les beaux parleurs se mêlent aux haut-parleurs, et on réfléchit, plus qu’on ne s’interroge, à propos de combats d’arrière-garde, de peur de s’éveiller, ou de se réveiller et de s’angoisser. Ce signe des temps modernes, symptôme de la démocratie consumériste, névrose de l’homme contemporain, ne semble pourtant inquiéter personne. Si la politique devient politicienne, si l’école se transforme en fabrique à crétins, si la co-errance de l’économie et de la philosophie apparait dans sa dimension la plus alarmante, moutons et mutins de panurge se retrouvent enfin ensemble, réconciliés, dans un grand happening festif, organisé directement via Facebook. La désertion de la pensée française devrait nous alarmer. Mais non ! On édite, partout, en tous sens, des livres de philosophie pour la ménagère de moins de cinquante ans ; on produit en grand nombre des prothèses au bonheur, pour palier un déficit politique, et une incapacité conjoncturelle à le trouver vraiment ! D’aucuns, bien sûr, m’accuseront de céder au pessimisme ambiant ; de collaborer avec la mode dépressionniste dont le dernier prix Goncourt s’est fait le maître à penser ! Pourtant, il n’est pas si loin le temps où nous avions à cœur de changer le monde, de le rendre meilleur ; de trouver du sens à nos vies, d’explorer les grandes questions métaphysiques ; de nous éveiller ou de nous réveiller de nos sommeils dogmatiques.
Francis Métivier, qui certes ne résiste pas aux modes, publie un ouvrage (Rock’n philo, Bréal, 2011) où il y associe le rocker et le philosophe, pour nous dire ce qu’ils ont en commun. Cela peut paraître poussif par certains endroits, excessif par d’autres, mais ce livre présente une vertu indéniable : nous montrer que le rocker, dont le statut fut longtemps décrié, à l’instar du philosophe, assez souvent incompris, cherche à mieux comprendre le monde pour apprendre à y bien vivre. Ainsi, rocker et philosophe se retrouvent sur un point : tous deux cherchent le sens, critiquent par le marteau, ou le « médiator philosophique ». Subversion et cohésion sont leurs instruments familiers…
Sauf qu’aujourd’hui, on aime à nous répéter que le rock est mort. Et dans le foisonnement de faux livres de philosophie qui envahissent les vitrines des libraires, dans le grand carnaval philosophique de nos faux prophètes télévisuels, la philosophie semble en bien mauvaise posture.
Il aurait évidemment fallu commencer par là !
(Paru dans Le Magazine des Livres, n°32, Août-Septembre 2011)