Puis l'été a passé, les victoires se sont succédées et l'automne est arrivée. "Avec le temps, le Printemps arabe devient automne et hiver", nous livre tristement Sa Béatitude Mgr Fouad Twal, Patriarche Latin de Jérusalem. "Espérons que la communauté internationale soit consciente de ce danger et que tous travaillent pour le bien des citoyens qu’ils soient chrétiens, druzes, juifs ou musulmans". Espérons...
Car aujourd'hui, le printemps devient assez nettement un habituel Automne arabe. Alors que le CNT libyen semble annoncer une constitution régie par la charia, le parti islamiste Ennahda sort grand vainqueur des élections tunisiennes. D'ailleurs, ce ne sont pas seulement les tunisiens de Tunisie qui ont voté Ennahda mais également les tunisiens de France et d'Europe...
Charia, islamisme... Les mêmes qui se prenaient hier pour Gandhi se souviennent aujourd'hui que les révolutions suivent parfois des chemins tortueux.
Faut-il s'étonner de la tournure des événements en Libye? Bien-sûr que non. La charia codifie la vie personnelle, politique, économique et spirituelle des musulmans. Le peuple libyen n'ayant pas de constitution se tourne très logiquement vers le code qu'il connait mieux. D'autant plus que la France s'est appuyée ouvertement sur le Qatar (son armée, son poids politique, sa chaine Al Jazeera) dont la source première des lois est la charia. La question n'est donc pas d'empêcher la charia mais de faire attention à son application, ce qu'elle inclut, son interprétation.
Faut-il s'étonner de la tournure des événements en Tunisie? Bien-sûr que non. Ennahda a fait une campagne vigoureuse, patriotique. Le parti islamiste a su cristalliser la haine du passé et la critique de l'Occident en s'appuyant sur une organisation structurée. Le vote des tunisiens de France est révélateur. L'islamisme est devenu un lieu privilégié de repli culturel et identitaire.
Faut-il en avoir peur? C'est à cette question qu'il convient de répondre. Il me semble qu'il faut toujours avoir peur d'une situation politique gérée avec pragmatisme stratégique plutôt qu'avec détermination vertueuse. Le principal enjeu dans les pays à majorité musulmane est pour moi toujours le même : la liberté religieuse. Benoit XVI rappelait dans son message pour la paix en 2011 que la liberté religieuse est le chemin vers la paix. "J'exhorte donc les hommes et les femmes de bonne volonté à renouveler leur engagement pour la construction d'un monde où tous soient libres de professer leur religion ou leur foi, et de vivre leur amour pour Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit." A l'origine de la liberté morale, acquis de civilisation, patrimoine des peuples, elle est fondamentale. De cette liberté de croire ou de ne pas croire découle toute liberté. D'où la question cruciale de l'apostasie telle qu'elle est citée dans un hadith (al-Boukhari) du Prophète.
Comme Fouad Twal, comme les chrétiens d’Égypte, comme tous les chrétiens d'Orient, aujourd'hui j'ai évidemment peur. Cette liberté fondamentale d'être soi-même est en danger. Elle n'a d'ailleurs jamais vraiment existé, puisque les dictatures "laïques" toléraient tactiquement des communautés sans pour autant leur offrir une pleine liberté.
Alors comment faire avancer la liberté religieuse? En dialoguant, en se cultivant, en aimant. A la veille de la célébration par Benoit XVI des 25 ans de la rencontre d'Assise initiée par Jean-Paul II, nous avons une clef. En réétudiant le judaïsme qui fait partie intégrante de leur foi, les chrétiens ont mieux compris les juifs. En étudiant le judaïsme et le christianisme qu'ils ne connaissent pas, les musulmans pourraient enfin comprendre leurs minorités. Peut-être n'est-ce plus aux uns de dialoguer avec les autres mais bien aux autres de commencer à découvrir les uns.