Il est toujours intéressant de revenir dans d'un site déjà archi-connu comme cet extraordinaire specimen de l'architecture militaire du XVIème siècle, car la recherche historique avançant, des interprêtations erronées deviennent caduques.
C'est ce qui se passe pour ce château dont Béranger de Roquefeuil (1448 - 1530) fit un site inexpugnable. Et d'ailleurs inexpugné car il ne défend rien. Ce château, c'est un geste symbolique; un manifeste de la noblesse d'un seigneur richissime, qui vécut très longtemps et eut 11 enfants, et fut choyé par un roi dont la gentillesse n'était pas le trait de caractère le plus évident : Louis XI !Car Bérenger de Roquefeuil, passionné d'artillerie, mauvais caractère mais entreprenant avait choisi Bonaguil pour sa situation centrale au milieu de ses multiples baronnies allant de Beaucaire à Bazas, incluant, pour notre région proche Villeréal, Castelnau-Montratier, Blanquefort sur Briolance. Et c'est grâce à Louis XI qu'il détenant son immense fortune. Son père et ses deux frères aînés avaient choisi le parti de la Ligue et les Armagnacs contre Louis XI, le roi deshérita ses deux frères à son profit. En 1477, il épouse Anne du Tournel, dame d'atours de la reine. On vient de mettre à jour leur contrat de mariage qui donne un nouvel éclairage sur ce seigneur moins fantasque et moins techniquement dépassé qu'on en l'a dit, et surtout fidèle à son roi.
Ce chateau, avec 6 tours, 7 ponts-levis, une surface correspondant à 25% de celle de la Cité de Carcassonne, une casemate, une grotte, des canonnières....représente tout ce que la science des armes à feu permet à une époque où, malheureusement, la technologie guerrière va plus vite que la construction du gros-oeuvre d'un château fort (même rapide comme ici en 16 années). Car au moment où l'on construit Bonaguil, il faut se remémorer que Michel-Ange décore la Chapelle Sixtine ...Bonaguil se situe sur le mauvais côté de la charnière entre Moyen-âge et Renaissance.Bonaguil sera le dernier château féodal construit en Europe. Les suivants seront des résidences de plaisance, comme Chambord et les châteaux de la Loire. Pour autant, comme notre guide nous l'a expliqué, le château était confortable, ses fenêtres étaient vitrées, son mobilier riche. Il sera transformé en 1761 par Marguerite de Fumel, sa nouvelle propriétaire, qui y aménagea des jardins à la française ...Enfin, il est intéressant de retrouver ce qu'Eugène Viollet-Le Duc en pense dans son Dictionnaire raisonné de l'architecture du XIème au XVIème siècle (1856) :"On voit qu'ici, comme dans les anciens châteaux féodaux, toutes les précautions les plus minutieuses étaient prises pour masquer les entrées et les rendre d'un accès difficile. Par le fait, il n'y a qu'une seule entrée, les détours que nous venons de décrire ne pouvant être pratiqués que par les familiers du château et pour faire des sorties lorsque besoin était. Mais des dispositions, toutes nouvelles alors, viennent modifier l'ancien système défensif; d'abord l'ouvrage avancé O avec la plate-forme M donnent des saillants considérables, qui battent les dehors au loin, et flanquent le château du côté où il est accessible de plain-pied; puis au ras de la contrescarpe des fossés, au niveau de la crête des murs de contre-garde, des embrasures pour du canon sont percées à rez-de-chaussée dans les courtines et les étages inférieurs des tours; les tours sont à peine engagées, pour mieux flanquer les courtines. Si l'on en juge par l'ouverture des portes qui donnent entrée dans les tours, les pièces mises ainsi en batterie à rez-de-chaussée ne pouvaient être d'un gros calibre. Quant aux couronnements, ils sont munis de chemins de ronde saillants avec machicoulis et créneaux ; mais les consoles portant les parapets de la grosse tour cylindrique ne sont plus de simples corbeaux de 0,30 c. à 0,40 c. d'épaisseur; ce sont de gros encorbellements, des pyramides posées sur la pointe, qui résistaient mieux au boulet que les supports des premiers machicoulis. Les merlons des parapets sont percés de meurtrières qui indiquent évidemment, par leur disposition, l'emploi d'armes à feu de mains."
Jean-Baptiste et Pierre-Alexandre ont écouté le guide avec beaucoup d'attention, et sont montés deux fois au plus haut du donjon...Nous les avons laissés faire !