---"Dayan..!!!" Non, ce n'est pas possible..! Mais vous êtes mort..!"
- C’est vous qui étiez visé, pourquoi serai-je mort à votre place Mr Macanek, ironisa Dayan.
- Mais enfin je vous ai vu mort, vous saigniez..
- Je vois que vous ne connaissez pas les délicieux tubes à la fraise et la rose Sibo-Sibon, j’en ai toujours un sur moi, en Tunisie nous avons internet et on peut se faire livrer de délicieux desserts, à condition d’y mettre le prix bien sur, éclata de rire le policier. Mais soyons sérieux, asseyez vous deux minutes François, vous permettez que je vous appelle François.. ?
Ce dernier n’eût pas le temps de répondre qu’Ahmed Guerzi renchérissait :
- Je vois que je ne me suis pas trompé sur votre future association. Le boucher n’a qu’a bien se tenir. Mais je vous laisse continuer Mohammed.
Agrandir cette image
- François, comme je l’ai dit, c’est vous qui étiez visé dans cet attentat. Nos conclusions sont que son auteur ne peut qu’être le Boucher, vous l’avez photographié à Ben Guerdane et pour lui vous êtes un agent de l’étranger. Le Boucher est comme une pierre affûtée, un diamant vif, constamment aux aguets il note le moindre élément ou indice qui sort de l’ordinaire. Il a pris votre geste comme une intrusion, une intention particulière de lui nuire. Je le traque depuis des mois, je scrute ses moindres actions, je lis en lui comme dans un livre, l’ennui c’est que pour l’instant il a toujours une page d’avance. Mais je ne désespère pas de mettre un point final à son scénario d’enfer.
- Si vous le connaissez si bien, comment se fait il qu’il circule aussi librement dans votre pays.. ?
- Le Boucher n’est pas seul François, une organisation qui a ses bases en Libye le soutient, le finance, lui procure « ses planques ». Un homme seul n’irait pas loin. Lui est comme un poisson dans l’eau du lac d’Ichkeul. Pour que nous puissions mettre fin à ses actes il faut qu’il commette une erreur, une seule. Et là, ce qui vient de se passer pourrait être la faute de jeu que j’attendais. Le fennec a montré ses oreilles, je vais les lui couper avant qu’il ne regagne son terrier. Pour cela nous devons nous rendre à Monastir.
- Pourquoi Monastir et pas Sfax ou Sousse.. ?
Dayan eût l’air agacé par cette remarque que visiblement il jugeait déplacée. Il prit un air pincé, mais sa force de caractère fit qu’il composa son personnage en quelques infimes secondes.
- Monastir François, parce qu’à Monastir vit Ferhat Mechiche, avez-vous entendu parler de cet homme.. ?
- Attendez oui, ne serait ce pas l’un des chefs d’un parti d’opposition toléré et contrôlé par Ben Ali.. ?
- En partie oui.. ! En fait ce parti fait office de soupape sur la cocotte explosive de la tchachouka tunisienne entrain de bouillir sur le feu des revendications du peuple. Ferhat est une vipère du désert qui nourrit la haine du peuple tout en ménageant le pouvoir en place. Ce qui fait que Ben Ali le tolère. Mais plus le temps passe et plus Ferhat assoit les bases d’une future révolution. Son souhait : devenir le calife à la place du calife.
- Bien, mais qu’est ce qui vous fait penser que le Boucher se rendra à Monastir.. ?
- Vous savez François dans mon pays il y a ce qui se voit et ce qu’il se passe réellement. Les Tunisiens sont des gens pacifiques, ils tolèrent ce qui peut déranger un pouvoir qu’ils ont du mal à suivre, mais ils aiment le calme, la paix qui est propice aux affaires. Peut être ont-ils hérité cela des envahisseurs Romains, la « Pax Romana » propice à faire la grandeur de Rome. Nous sommes aussi des méditerranéens et nous avons le sang chaud, on s’enflamme très facilement face à l’iniquité qui fait le lit d’individus tels que le Boucher. Donc, certaines personnes aident le Boucher parce qu’il sert momentanément certains de leurs intérêts, mais au fond d’eux-mêmes ils sont tunisiens et aiment leur pays, ils détestent ce genre d’individu sans foi ni lois. Ainsi les langues se délient, les confidences secrètes dans les arrières salles désertes et sombres des cafés aux heures chaudes de la sieste nous amènent sur sa trace. Le Boucher se rendra chez Ferhat Mechiche François et nous serons là.
- Quand partons nous.. ?
- Demain matin aux aurores.
- Bien Messieurs, excellente décision approuva le Commissaire. Mohammed vous prendrez ma BMW de fonction, je vous la confie, attention à l’embrayage il est un peu sensible en ce moment et je n’ai pas eu le temps de le faire réviser ce mois ci. N’oubliez pas les tickets d’essence et lorsque vous serez à Monastir contactez mon ami le Commissaire Djibflouz, il a été témoin au mariage de ma fille à Tindja. Il a toute ma confiance et saura vous aider au besoin. Cette mission est « Confidentiel Défense » Messieurs, aucun de ses tenants ou aboutissants ne doivent être divulgués. Seul Djibflouz sera mis dans la confidence par moi-même. S’il vous arrivait quelque chose Mr Macanek nous ignorons jusqu’à votre existence. On ne s’est jamais rencontré, vous ne m’avez jamais vu. Allez Messieurs mektoub.. ! Et qu’Allah, paix à son nom, vous garde tous deux.
Agrandir cette image
Après de brefs adieux et un rendez vous pris pour le lendemain matin François regagna son domicile. Le porche franchi, de retrouver ses arbres, ses massifs de fleurs, la fraîcheur de l'allée à l'abri des palmiers le ragaillardit. Décidément il se plaisait dans ce pays, si ce n'était cette menace inquiétante il prendrait bien l'engagement d'y vivre encore de nombreuses années. Il s'assit quelques instants sur le banc en pierres peintes de blanc qui trônait près de l'entrée de ce jardin des délices. Une nouvelle fois il s'émerveilla sur la capacité de cette terre à l'aspect aride et sablonneuse sous la chaleur des rayons du soleil et qui dès le soir tombé sous un arrosage abondant se révélait prolixe et nourricière. Par analogie il repensa à la phrase de Mohammed sur les aides du Boucher, des janus près à te planter un couteau dès que tu leur tourne le dos. Il réalisa la dangerosité de la mission dans laquelle il allait se lancer, mais comment faire autrement..? Il avait besoin de l'appui des autorités tunisiennes pour se lancer à la recherche de Nicole la fille du riche banquier Fieldkronenc de Genève, à la clef une commission de 300.000 $, de quoi assurer ses vieux jours. Alors il n'y a pas à hésiter, le jeu en vaut la chandelle avec un peu de chance les dollars tomberont dans son escarcelle...
Il était tellement plongé dans ses réflexions qu'il n'avait pas vu une forme juvénile sortir de sa maison et s'approcher de lui en lui tendant un grand verre de citronnade bien frais.
- Rym ma chérie cela fait longtemps que tu es là dit il en se saisissant du verre dont le contact frais lui procura une onde de plaisir.?
- J'ai entendu à la radio qu'un attentat avait eu lieu au café de l'environnement, on parlait de la mort d'un policier et d'un français qui était blessé, j'ai eu peur pour toi. Alors je suis venue discrètement jusqu'ici, viens rentrons je veux te sentir contre moi.
Le lendemain matin, François était devant l’entrée du souk, parmi la foule des touristes européens en mal d’achats. Sur les façades, les portes et fenêtres des boutiques un amoncellement d’objets hétéroclites et de tissus colorés de toutes sortes pendouillaient au vent tandis que quelques petits yaouleds tentaient d’alpaguer les chalands, les agrippant par la manche, vantant leur bronzage, avec les sempiternels « zoli gazelle » qui finissait par lui taper sur les nerfs. C’est bien connu « ici c’est moins cher qu’à côté » et « viens chez moi mon ami, je te ferai un bon prix ».
Le refrain attrape-gogos que nombre de touristes avaient fini d’interpréter avec le temps, mais que la gouaille populaire continuait à servir jusqu’à plus soif, quitte à faire fuir le client.
Il s’était posté à l’écart à côté de l’échoppe de « Ali Bidouille » un petit vendeur d’autoradios récupérés sur le marché de Ben Guerdane et revendus deux fois le prix. De là il pouvait guetter l’arrivée de Mohammed et sa voiture de police. Il n’eût pas à attendre longtemps, un quart d’heure tunisien plus tard la BMW sérigraphiée s’arrêtait sur la Place, au volant un flicard en képi lui fit signe de monter à l’arrière. Il ouvrit la portière et aperçut Mohammed recroquevillé sur la banquette. C’est vrai qu’il ne tenait pas à se faire voir dans la ville, son corps était supposé reposer au funérarium en ces instants.
François se glissa prestement dans le véhicule, serrant la main de l’Inspecteur, et la voiture redémarra rapidement. Le chauffeur prit l’enfilade des ruelles en direction du Boulevard de l’Hôpital qui l’amènerait au grand carrefour d’où il serait aisé de prendre la route d’Ajim et la Voie Romaine. Djerba est une île reliée au continent par cette route construite à l’époque Romaine par la légion qui occupait cette région berbère, on peut également y accéder par un bac maritime ou par avion.
Passer par la route rallongeait le trajet mais avait l’avantage de ne pas avoir à attendre la navette des transbordeurs, et de plus éviterait les curieux pullulant comme des mouches à cet endroit. Le chauffeur conduisait vite, il était natif du coin et la topographie n’avait aucun secret pour lui. Il enfilait les rangées de palmiers pour la plupart désséchés à cette époque, les champs d’oliviers tortueux et les haies de cactus comme sur les lieux d’un rallye. Ace rythme la Voie Romaine fut atteinte en moins de vingt minutes, il s’arrêta près d’une station service fermée devant laquelle était garée une vieille 4 L. Le flicard n’arrêta pas le moteur et sans un mot quitta le véhicule en direction de la 4 L., tandis que Mohammed prenait le volant.
François testa alors la conduite de l’Inspecteur, souple et moins brutale, on voyait qu’il dominait la machine. Une fois la Voie Romaine traversée ils prirent la route vers Gabès.
En ces endroits le paysage est relativement monotone, c’est une succession de champs d’oliviers sur une terre aride. Le commerce de l’huile d’olive est le principal négoce de la région. Dans certains villages des moulins à huile repérables facilement par cette odeur acre et entêtante si particulière apportent une source de revenu non négligeable en transformant la manne divine. En période de récolte des familles entières dressent leurs tentes berbères sous les arbres et recueillent les fruits de ces arbres de paix.
Mais aujourd’hui ce n’était pas de saison, les olives étaient vertes et les seules personnes que l’on pouvait entrevoir sur ces étendues désertes étaient de-ci delà des revendeurs d’essence libyenne avec leurs stocks de bidons multicolores entassés au bord de la route. Un système ingénieux permettait de remplir les réservoirs, le bidon était suspendu sur un socle en hauteur, un tuyau en caoutchouc passait du bidon à un petit compteur et ensuite au réservoir. On vendait ainsi une essence de qualité moins chère qu’à la pompe et tout cela à la vue de la Police et des Douanes qui fermaient les yeux sur ce commerce illégal. Ben Ali achetait momentanément le calme dans cette région pauvre.