Boomerang : Travels in The New Third World

Publié le 24 octobre 2011 par Magazinenagg
Revue de livre par Pierre Duhamel
Je viens de lire un récit captivant. Le journaliste américain Michael Lewis vient de publier Boomerang: Travels in The New Third World.
Quel est ce nouveau Tiers Monde ? Les pays ou États qui se trouvent à l’épicentre de la crise économique mondiale : l’Islande, la Grèce, l’Irlande et la Californie. Il a aussi rencontré des banquiers allemands, des modèles de conservatisme et de prudence sur leur propre marché, mais qui ont investi massivement partout où ça va mal, et un opérateur de hedge fund américain qui se fait une fortune en pariant sur les prochains pays qui vont sauter.
Le livre de Michael Lewis, c’est un peu le Guide Michelin des États fauchés. La prochaine chose que j’ai constaté en lisant le livre, c’est que chaque pays a sa propre histoire. Le résultat final est le même en bout de piste, mais la culture de chaque peuple donne une teinte particulière à ce qui s’est passé. Deuxième constatation : il n’y a jamais un seul coupable.
Le cas de la Grèce est assez éloquent à cet égard. C’est la fibre morale de l’ensemble de l’ensemble de la société qui s’est défaite. Tout le monde trichait, même les moines !
Ce n’est pas un hasard si c’est un scandale impliquant un monastère de moines du Mont Athos – le lieu saint de l’orthodoxie – qui est à l’origine du changement de gouvernement et des révélations sur l’état réel des finances du pays. Ces saints hommes, forts d’un document du 14e siècle que leur a accordé un empereur byzantin, ont marchandé avec l’État un titre de propriété sur un lac sans valeur au nord du pays pour obtenir des terrains valant plus d’un milliard d’euros.
Passage rigolo du livre : la technique de négociation des moines avec les représentants de l’État. Avant d’entamer les discussions, les bons moines offraient à leurs interlocuteurs de les entendre en confession !
L’État grec était dépensier et mal organisé. Le gouvernement précédent a trafiqué les livres et tenté de faire croire pendant plusieurs années aux autres membres de la zone euro que le déficit n’était que de 3 %, alors qu’il était en fait de l’ordre de 15 %. La Grèce comptabilisait plusieurs de ses dépenses à l’extérieur de son cadre financier.
Le secteur public était peu performant. Selon Michael Lewis, les écoles grecques, parmi les pires de l’Europe, employaient quatre fois plus d’enseignants par élève que les écoles finlandaises, réputées les meilleures du Vieux continent. Les coûts de main-oeuvre de la compagnie de chemin de fer grec atteignaient quatre fois ses revenus et l’employé moyen gagnait en moyenne 65 000 euros par année. Un ancien ministre des Finances avait même déclaré qu’il coûterait moins cher d’offrir le taxi à chacun des passagers plutôt que continuer le service de train.
Les banquiers, surtout français et allemands, ont financé le pays sans porter grande attention et sur la seule base qu’il avait adopté l’euro. La banque d’affaires américaine Goldman Sachs aurait récolté des honoraires de 300 millions de dollars pour aider la Grèce à camoufler l’état réel de son endettement. Goldman a aussi montré au gouvernement à monétariser ses revenus des prochaines années. En clair, tous les revenus futurs de la loterie nationale, des péages d’autoroutes, des frais d’atterrissage et même les fonds auxquels l’État grec pouvait s’attendre de l’Union européenne, ont pu être dépensés immédiatement.
Quant aux Grecs, ils étaient les champions mondiaux de l’évasion fiscale et des petites tricheries. On apprend dans le livre que les deux-tiers des médecins grecs auraient déclaré des revenus de moins de 12 000 euros par année. Les hôpitaux grecs dépensaient beaucoup plus que les hôpitaux européens pour leurs fournitures et on rapporte que les médecins et les infirmières partaient régulièrement du travail les bras pleins de papiers de toilette ou de couches. Les Grecs profitaient d’un État qui ne se refusait aucune dépense et qui leur offrait des conditions de travail extraordinaires, mais sans jamais vouloir le financer.
Qui est responsable de ce qui es arrivé à la Grèce ? Je pense que l’État, les banquiers et les citoyens sont responsables. Je suis très tenté de croire que c’est ce qui est arrivé ailleurs aussi, même si cela ne s’est pas passé de la même façon.