Généralement, et c'est le sens de l'échelle d'originalité de D. Peltz et F. Munson1, la notion d'imitation est dépréciée par rapport à celle d'innovation. A contrario, dans le livre Copycats, how smart companies use imitation to gain strategic edge, Oded Shenkar, responsable Global Business Management chez Ford Motor Company, cherche à rétablir un équilibre de valeur entre ces deux notions, voire de faire prévaloir l'imitation en en faisant le support de la seconde.
L'imitation telle que l'entend Shenkar est la manière légale2 de copier, de répliquer ou de répéter une innovation ou une initiative pionnière. Elle peut concerner aussi bien un produit, un process, une pratique ou un business model. Elle n'est pas nécessairement une reprise telle quelle mais peut être une variation ou une adaptation. Elle peut aller de la copie parfaite (« blueprint copying ») jusqu'à la vague inspiration (« broad-brush inspiration ») en passant par tout ce qui se trouve au milieu3.
Mais surtout, l'auteur montre que l'imitation est depuis longtemps présent dans le business. Ainsi un responsable automobile japonais aurait eu l'idée du système de production « juste-à-temps » en voyant fonctionner un supermarché américain où les marchandises étaient automatiquement remplies4. Et de nombreux autres exemples viennent parsemer le livre. Shenkar remarque alors qu'il y a un recouvrement entre les « imitateurs » et les « innovateurs » et cite par exemple : Wal-Mart, IBM, Apple ou Procter & Gamble. Cela le conduit à fonder la notion d' « imovateur » (« imovators »). L'idée est que l'imitation ne s'oppose pas à l'innovation et peut même plutôt la supporter5. L'imovation est alors définie comme la fusion de l'imitation et de l'innovation en vue de créer un avantage compétitif6.
Dès lors la capacité à imiter dans le but d'innover – autrement-dit à « imover » (« imovate ») – devient essentielle pour les entreprises. Shenkar idendifie six fonctions maîtresses (« capabilities ») permettant d'y arriver7 :
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Préparation (« Getting ready ») : construction d'une culture qui encourage aussi bien l'imitation que l'innovation
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Choix (« Referencing ») : capacité à identifier et viser des modèles pertinents d'imitation
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Recherche, repérage et tri (« Searching, spotting, and sorting ») : capacité à rechercher, repérer et sélectionner les produits, process, services, pratiques, idées et modèles qui valent d'être imiter
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Contextualisation (« Contextualizing ») : capacité à situer l'imitation et l'original dans leurs contextes spécifiques
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Approfondissement (« Deep diving ») : capacité à mener des investigations poussées qui vont au-delà d'une simple analyse de corrélation mais prennent en compte l'ensemble des correspondances
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Opérationnalité (« Implementing ») : capacité à déployer rapidement et efficacement les éléments imités à un niveau opérationnel .
Sans rentrer dans le détail de ces fonctions, on constate que ce modèle sous-tend inévitablement un service de veille(fonction « recherche, repérage et tri ») qui soit à la fois en lien avec la stratégie (« choix ») et avec les métiers (« opérationnalité »).
Concernant le choix des cibles, Shenkar préconise d'aller au-delà des cibles habituelles(« Beyond the Usual Suspects ») c'est-à-dire au-delà de son secteur ou de son marché. Cette pratique est en effet devenue commune : les hôtels copient les programmes de fidélité des compagnies aériennes, les banques adoptent les modèles de standardisation de l'industrie, et les hôpitaux empruntent les mesures de sûreté des compagnies aériennes, de chemins de fer, et de l'US Navy8.
Mais les « Unusual Suspect » sont aussi les firmes qui ont échoué dans une initiative. Car apprendre des erreurs des autres permet de ne pas les reproduire. À ce propos, Shenkar cite Steve Jobs lorsqu'il était encore le patron d'Apple : « Le seul consultant que j'ai embauché en 10 ans, c'était pour analyser la stratégie de distribution de Gateway afin de ne pas faire les mêmes erreurs qu'eux ». Et pour être capable d'établir ces « Worst Practices », il faut réaliser des « business autopsy » en utilisant les « informations publiques » et « en parlant à d'anciens dirigeants qui ne sont plus tenus à la confidentialité9 ». La fonction veille et renseignement paraît donc là aussi tout-à-fait essentielle au dispositif d'imovation de Shenkar.
Cette conception d'une imitation tournée vers l'innovation que Shenkar veut aussi bien « systématique » qu' « éclectique et créative10 » permet donc d'éclairer ce que peut être le rôle de la veille dans une démarche d'innovation. En ce sens, l'innovation est comprise comme la capacité d'une entreprise à transformer des initiatives d'autres firmes en valeur pour elle-même par le biais d'une imitation pertinente. Dans ce processus, la veilleest appelée à jouer un rôle primordial étant donné que c'est elle qui permet la maîtrise et le fonctionnement de l'imitation. En plus de cela, la capacité à imaginer des adaptations possibles vis-à-vis de secteurs et de marchés différents (« Unusual Suspect ») exige une composante créativeforte et dément le défaut d'originalité habituellement attaché à la notion d'imitation. Enfin, les « inputs » de cette veille peuvent être très larges, d'un produit à une simple pratique ou idée. Le choix dépend en fin de compte de la stratégie et de la place du service en charge de l'imovation.
Reste à faire en sorte que ce dispositif d'imitation pour innover soit actif et opérationnel, c'est-à-dire qu'il soit capable d'impulser une culture de l'innovation et de l'imitation au sein de l'entreprise, et qu'il soit en mesure de porter des idées innovantes à un niveau opérationnel.
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1Voir : Le rôle de la veille dans une démarche d'innovation (1/3) : Qu'est-ce que l'innovation ?
2Shenkar précise que les actes d'imitation illégaux comme le piratage ou la contre-façon ne font pas partie de son propos.
3Oded Shenkar, Copycats, how smart companies use imitation to gain strategic edge, Harvard Business Press, 2010, pages 4-5
4Ibidem, page 11
5Ibidem, page 15
6Ibidem, page 19
7Ibidem, page 113
8Ibidem, page 121
9Ibidem, pages 122 - 123
10Ibidem, page 136