Planquez-vous, il arrive ! Certains ne se doutent jamais des dangers auxquels ils s’exposent en laissant un fauteuil libre à côté d’eux dans une salle de cinéma. Ils ne se doutent de rien lorsqu’un homme seul vient leur demander si la place est occupée ou non, et qu’ils répondent qu’elle est libre. Qu’ils laissent cet homme se poser à leur côté, innocemment, sans se douter que pendant les deux heures qui vont suivre, ce spectateur d’apparence lambda va attirer à lui toute l’attention de la salle presque autant que le film lui-même, et potentiellement transformer leur moment de ciné en enfer.
Moi par contre, je l’ai vu venir gros comme une maison alors que j’étais tranquillement assis dans une salle des Halles il y a quelques jours pour découvrir Le Skylab de Julie Delpy. Le bonhomme en question, ce cinémaniaque anonyme capable de dynamiter une séance, je le connais pour l’avoir régulièrement croisé, et il se trouve justement que c’est devant moi qu’il s’est installé ce jour-là. Qui donc est cet homme mystérieux ? Je l’appelle, dans un grand élan d’originalité, « l’homme qui rit ». La dernière fois que j’avais croisé son chemin, c’était il y a peu, dans la salle 1 de l’Orient Express, pour Sexe entre amis. Mais comme moi « l’homme qui rit » n’avait pas trouvé le film drôle et ne s’était donc pas fait entendre.
Quand je l’ai vu s’asseoir presque exactement devant moi pour Le Skylab, j’ai plaint les personnes autour de nous. Le Skylab semblait être le genre même de film risquant de déclencher les zygomatiques de l’homme qui rit. Dans cette optique, je savais parfaitement à quoi m’attendre, l’ayant déjà entendu à maintes reprises. La nouveauté, c’est que je n’avais jamais été aussi près de cet extravagant spectateur. J’ai donc pu l’observer à loisir pendant la projection. Et cela valait le coup d’œil. Sa caractéristique numéro un, c’est son rire, bien sûr. La première fois qu’il l’a fait retentir pendant le film, c’est pendant une chamaillerie entre deux gamines à l’écran. Alors qu’elles se tiraient les cheveux mutuellement, tout à coup, il a laissé échapper un rire qui a fait frémir la salle. « Hiiiiinnnnn hin hin hin hin hin ». Difficile à mimer avec des mots. Imaginez un croisement entre le rire d’une sorcière maléfique et celui d’une hyène. Je vous assure. Un rire hors norme, qui déclenche d’abord la surprise parmi les autres spectateurs, l’inquiétude pour ceux qui entourent l’homme et découvrent son rire, et l’amusement pour ceux qui sont un peu plus loin (ou moi, qui y suis habitué).
A partir de ce premier rire, ce sera un festival, une heure et demi durant. Toutes les quatre ou cinq minutes, ce sont des explosions artistiques de rire, des moments de joie intense partagées, l’homme qui rit ne se contente pas de rire. Il explose, il jubile, il tape des mains, il se tourne vers sa gauche et vers sa droite, pour voir si ses voisins prennent autant de plaisir que lui. Il se tourne même derrière lui et de temps en temps je croise son regard, et son hilarité s’avère communicative. La chance qu’il a, c’est que le film de Julie Delpy, une comédie pétillante et jouissive, se prête parfaitement à une joie collective. C’est un film un peu foutraque parfois. Un prologue et épilogue inutiles, quelques scènes s’étirant trop, des liens entre les personnages que l’on a du mal à assimiler, et même des prénoms que l’on a du mal à associer à certains personnages. Un beau bordel. Mais c’est une véritable fête de fraîcheur, un bel hymne à la famille et à la vie bourré d’humour et de tendresse, et peuplé de personnages (et comédiens) particulièrement savoureux.
Alors oui, la salle appartenait un peu trop à l’homme qui rit, son esbroufe, sa grandiloquence rieuse que l’on est en droit de juger expressément surjouée parfois. Mais sa joie de cinéma correspondait si bien au film que l’on partageait qu’aucune rancœur ne s’en est développée. Encore moins lorsque le générique de fin est apparu, et qu’au son de « Born to be Alive », ce spectateur pas comme les autres dansait sur son siège, s’est levé au rythme de la chanson, et s’est mis à balancer son bras de haut en bas comme s’il était sur le dance-floor, mais avec une absence de grâce, tout engoncé qu’il était, parfaitement hilarante (je ne me moque pas je suis moi-même un terrifiant danseur). Et tout en quittant la salle, prenant son temps, lentement pour bien profiter jusqu’au bout de la chanson, il se déhanchait et agitait la tête en rythme en glissant quelques mots à d’autres spectateurs qu’il croisait. Il n’y en a pas deux comme lui.
Merci Julie Delpy, non seulement Le Skylab est assez réjouissant, mais en plus il m’a permis d’assister à un festival ininterrompu, jusqu’au sortir de la salle, de « l’homme qui rit ». Un vrai film dans le film.