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[Europe - Jeunesse] L’inattendu recul français de la capacité associative des mineurs – LeMonde.fr

Publié le 24 octobre 2011 par Yes

Bourde estivale ou conséquence fâcheuse d’un cavalier législatif ? Voté en catimini, l’art. 45 de la loi relative à l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels (publiée au Journal officiel le 29 juillet 2011) introduit un bien malheureux article 2 bis dans la grande loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Car sous la belle promesse d’une avancée pour le droit d’association des jeunes, nous écopons en réalité d’un recul par rapport au droit existant. L’article 2 bis nouveau introduit en effet dans la loi de 1901 une condition d’âge dont le législateur de 1901 n’avait pas voulu. Et, cerise sur le gâteau, il conditionne l’accès des jeunes de 16 à 18 ans aux responsabilités associatives à une autorisation écrite et préalable des parents ! Voici les termes de la reculade abusivement présentée comme une avancée : « Article 2bis. – Les mineurs de seize ans révolus peuvent librement constituer une association. Sous réserve d’un accord écrit préalable de leur représentant légal, ils peuvent accomplir tous les actes utiles à son administration, à l’exception des actes de disposition. »

[Europe - Jeunesse] L’inattendu recul français de la capacité associative des mineurs – LeMonde.fr

Le législateur de 1901 n’avait nullement omis de légiférer sur le droit d’association des mineurs. L’article 1er définit l’association comme une « convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices », tandis que l’article 2 précise que « les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable ».

Il était donc clair que le droit d’association était reconnu à toute personne, sans condition d’âge. La loi de 1901 ne réserve pas la liberté d’association aux seuls citoyens en âge de voter, ni aux civilement majeurs. Car pour le législateur républicain de 1901, le droit d’association était un droit naturel, un droit que le gouvernement ne peut concéder, un droit personnel qui préexiste à l’Etat. Il constitue ce qu’aujourd’hui nous nommons une liberté fondamentale et un droit inaliénable. C’est ainsi que la convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’association « à toute personne ».

Quelle était l’intention du législateur de 1901 ? Les débats parlementaires nous éclairent à ce propos. Le sénateur Ponthier de Chamaillard s’inquiéta : « Si des jeunes mineurs veulent s’associer mais que leur père s’y oppose, que feront-t-ils ? » Ernest Vallé, rapporteur de la loi, lui répondit ainsi : « Eh, mon Dieu ! Les uns et les autres feront ce qu’ils font aujourd’hui ; ils agiront en vertu de la permission tacite, très suffisante, qu’ils tiennent de ceux sous l’autorité desquels ils sont placés. Leur silence… équivaudra à une autorisation… Ce seront là convenances ou querelles de famille ; mais il n’appartient pas au législateur de les trancher à propos de la loi sur les associations. » Le législateur de 1901 n’ignorait donc nullement l’autorité parentale (alors autorité exclusive du père de famille) sur l’enfant qui s’exprime habituellement, à l’égard des tiers, par une présomption d’autorisation parentale ou par le pouvoir explicite d’opposition parental. Cependant, le législateur républicain considérait qu’il ne revenait pas à la loi sur la liberté d’association d’ajouter à ce propos des restrictions supplémentaires.

En conséquence de quoi, ni la loi du 1er juillet 1901, ni son décret d’application du 16 août 1901 ne précisaient l’âge minimal des personnes qui, à un titre quelconque, sont chargées de l’administration de l’association. L’âge des administrateurs ne figurait pas parmi les informations exigées lors de la déclaration de l’association. La jurisprudence judiciaire considérait l’adhésion à une association comme un acte d’usage courant qu’un mineur peut faire seul, au bénéfice de l’accord implicite de ses parents. La jurisprudence administrative précisait que commettrait un excès de pouvoir le préfet qui refuserait d’enregistrer une association au seul motif de l’âge de ses fondateurs.

Le 28 août 1971, répondant au député Neuwirth, le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin disait que les mineurs de seize ans pouvaient être élus et désignés administrateurs de l’association, pourvu qu’ils ne soient pas président ou trésorier. Quarante ans plus tard, ceux là même qui revendiquent la paternité de droits nouveaux pour les jeunes imposent des restrictions et conditions supplémentaires : les jeunes de seize ans révolus ne pourront jamais effectuer d’acte de disposition pour le compte de l’association et, pour pouvoir prendre part à des actes d’administration, ils devront obtenir l’accord préalable et écrit de leur parents.

ÉPANOUISSEMENT ET ÉMANCIPATION DE LA FAMILLE

En pratique, 44 % des jeunes mineurs sont adhérents à au moins une association mais peu d’entre eux participent aux assemblées. 2 à 3 % d’entre eux seulement seraient membres des conseils d’administration ; ils sont rares à être présidents ou trésoriers, sauf au sein des juniors associations ou autres associations de fait. Les mineurs participent donc massivement aux activités associatives, mais sont sous-représentés ou exclus des organes délibératifs. L’association constitue pour beaucoup de jeunes une société élective et affinitaire pour s’épanouir en s’émancipant de la famille : une transition entre la famille et la société. Ils apprennent à s’y engager avec leurs pairs et prennent leçon auprès d’autres adultes que leurs parents : animateurs, militants, cadres des associations qu’ils se sont choisis. C’est mal comprendre la jeunesse que de vouloir placer leur engagement associatif sous la tutelle de leurs propres parents.

Que faut-il dès lors comprendre de cet ajout subreptice, inclu dans la loi sur la sécurisation des parcours professionnels ?

Notre droit reconnaît aux jeunes de moins de dix-huit ans, quoique mineurs, de nombreux droits dans des domaines de la santé, la sexualité, la filiation, l’accès à la justice, les droits de la personne, les droits patrimoniaux, les droits sociaux. La loi confère aux adolescents et adolescentes de plus de seize ans des droits aussi importants que ceux de reconnaître un enfant, consentir à son adoption par l’aide sociale à l’enfance, accoucher anonymement, recourir à la contraception et, sous certaines conditions, à l’interruption volontaire de grossesse, s’opposer à une opération chirurgicale, faire seul un testament portant sur la moitié de son patrimoine, etc. Pourquoi, dans ce contexte, conditionner l’exercice de responsabilités associatives à l’autorisation écrite et préalable des parents ?

Car, si pour consommer des activités de loisirs diverses et variées, la loi n’exige pas des adolescents l’autorisation écrite et préalable des parents et représentants légaux, il n’en est plus de même dès lors qu’un adolescent voudrait exercer des responsabilités associatives. La présence au sein du bureau de l’association représente-t-elle plus de risque que la pratique sportive et des activités associatives elles-mêmes ?

La réforme estivale de la loi du 1er juillet 1901 érige un obstacle peu compréhensible à leur prise de responsabilité dans la vie associative.

L’article 2 bis exclut implicitement tout mineur de moins de seize ans de la participation à toute décision dans les instances collégiales de l’association, et interdit explicitement aux mineurs de plus de seize ans tout acte d’administration au sein d’une association, sauf accord express, écrite et préalable, de leurs parents ou représentants légaux. Le code civil prévoit pourtant la possibilité pour un mineur d’être mandataire – et qu’est-ce qu’un administrateur d’association sinon le mandataire des associés ? – et un régime de responsabilité adapté à la minorité. Le mandat associatif sera ainsi plus surveillé que tout autre mandat. A ce propos, quelle sera le régime de responsabilité de ce jeune mineur ? Perdra-t-il le bénéfice d’une responsabilité moindre, tel que l’accorde l’article 1990 du code civil en matière de mandat confié à un mineur ? Il faut le craindre, puisqu’en autorisant préalablement et par écrit les actes d’administrations accompli par leurs enfants dans une association, les parents risquent d’en endosser aussi la responsabilité.

Au lieu du progrès attendu pour appliquer en France le « droit d’association des enfants » proclamé par la convention internationale des droits de l’enfant, voilà l’inattendu recul français de la capacité associative des mineurs. A vouloir trop chapeauter et chaperonner, on déprime les initiatives et on décourage l’apprentissage des responsabilités.

L’inattendu recul français de la capacité associative des mineurs – LeMonde.fr.


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