La voie est étroite entre un pseudo-centrisme social-démocrate et une gauche anticapitaliste de moins en moins
compatible avec cette social-démocratie. François Hollande préfère pour l’heure attaquer la droite, renforcer le clivage virtuel du bipartisme et invoquer les grands dieux socialistes que sont
Jaurès, Blum, Mendès France, Mitterrand… et Jospin.
Loin d’être la fête comme les conventions qui investissent les candidats américains, cette manifestation
était plutôt une longue suite de discours parfois aussi ennuyeux qu’un congrès ordinaire. Ceux qui ont parlé avant François Hollande, c’étaient les candidats malheureux à la primaire qui venaient
se soumettre à la décision des suffrages et prêter allégeance à leur concurrent victorieux. À l’exception de Martine Aubry qui a montré un talent politique déjà connu et reconnu, tous ces discours préliminaires étaient creux et sans nouveauté.
Esprit de revanche
Ce qui m’a frappé d’ailleurs, dans toute la tonalité de cette convention, c’était l’esprit de revanche qui
agitait tous les esprits. Je pourrais presque dire l’esprit de vengeance. Comme s’il fallait laver non seulement l’affront du 21 avril 2002 mais aussi celui d’avoir désigné Ségolène Royal et d’avoir ainsi facilité l’élection de leur véritable adversaire, le Président sortant.
Car c’est de cela qu’il était question dans cette convention. D’attaquer tous azimuts la majorité
présidentielle avec une grande mauvaise foi. Les orateurs socialistes n’ont pas tort, c’est de bonne guerre, et il faut reconnaître que la convention Téléthon de l’UMP du 18 octobre 2011 aurait
été plus maligne de se tenir après cette convention d’investiture pour éviter ces facilités oratoires. Ce jeu de ping-pong médiatique n’a aucun intérêt et manque affreusement de sérieux dans le
contexte européen actuel.
Ce qu’il ressort, c’est que le PS veut à tout prix exacerber le bipartisme en faisant de 2012 une bataille entre gauche et droite. Or, on a vu déjà en 2007 que les
Français sont lassés de ces combats d’arrière-garde de camp contre camp. J’imagine bien que c’est l’intérêt de François Hollande de ressusciter ce qu’il voudrait être le camp des riches et le
camp des pauvres, ce qui paraît même logique pour quelqu’un qui disait il y a cinq ans qu’il n’aimait pas les riches (même si lui-même aurait pu payer l’impôt sur les grandes fortunes).
Hollande en liberté surveillée par …Montebourg
Arnaud Montebourg,
qui fut plusieurs fois félicité pour avoir organisé cette primaire (le principal bénéficiaire a avoué qu’il n’y avait pas cru beaucoup au départ), a rendu le candidat grimaçant lorsqu’il a
demandé à François Hollande d’être le candidat contre les banquiers et contre la haute finance européenne, sorte de nouveau Satan issu du grand capital, dans un excès de caricature qui semble peu
tromper ses auditeurs.
Pour mettre son candidat dos au mur, Arnaud Montebourg a en effet clairement martelé : « La trop longue glissade des socialistes vers le libéralisme est désormais définitivement interrompue. (…) Et je tenais à te rendre l’hommage dû à celui qui
se prépare en notre nom à affronter la finance européenne. ».
De Gaulle au secours d’une certaine idée de Hollande
Le discours de
François Hollande était évidemment beaucoup plus dense et nuancée, et a voulu renouer avec l’épopée mitterrandienne, n’hésitant pas à citer Stéphane Hessel (présent dans la salle) et même, eh
oui, car il était aussi là, impassible, Lionel Jospin.
Une seule communauté nationale… sans aucune distinction
À deux reprises, François Hollande a évoqué l’unité des Français, unique communauté.
D’abord en faisant éloge aux valeurs de la République : « J’ai perçu également la vigueur des potentialités que recèle notre pays, cette vitalité démographique, nos savoir-faire, la qualité de nos services publics,
notre recherche, la force de nos territoires, notre diversité, notre culture, notre langue, bref, toutes les ressources qui font que nous sommes la France, un pays différent des autres, un pays
qui porte des valeurs, un pays qui a une histoire, qui a une culture, une tradition, et qui doit donc avoir un projet. (…) Nous avons su surmonter des épreuves bien plus redoutables. Nous sommes
un grand peuple, plein de lucidité et de courage. Les valeurs de la République ne sont pas un fardeau mais un levier dans la mondialisation. ».
Ensuite en refusant la stigmatisation des personnes d’origine étrangère : « Depuis cinq ans, la République a été amoindrie, abaissée, abîmée, (…). L’identité nationale a été utilisée pour désunir. Les Français ont été distingués selon l’ancienneté de leur appartenance à la communauté
nationale, les étrangers ont été mis au régime de la suspicion. Et la laïcité qui nous rassemble tous a été la victime des approximations verbales et des accommodements
dangereux de celui qui aurait dû en être le garant. D’où la défiance qui s’est installée là, au cœur de notre société, il nous faudra reconstruire une nouvelle République. (…) Et ce
renouvellement des pratiques entraînera le renouvellement des équipes, la représentation de la France dans toute sa diversité, avec toutes ses couleurs, avec des parcours très différents de ceux
d’aujourd’hui. C’est ce renouvellement qui permettra de faire l’égalité, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité entre les cultures, l’égalité entre les parcours, l’égalité entre les
citoyens d’où qu’ils viennent. ».
(J’ai souligné en rouge les propos essentiels.)
Il a présenté cette vision de la communauté nationale avec pertinence, simplement et tout en nuances, mais il
l’a fait en oubliant que proposer le vote des étrangers aux élections locales, c’est vider de son sens la citoyenneté française. Cela rend les propos boiteux.
Ne pas cliver la République
Les propos de Ségolène
Royal étaient pour le moins ambigus : « Tendons la main à la France métissée, forte de ses enfants, tous ses enfants qui doivent trouver une
place dans notre République. Oui, il faut que les quartiers populaires qui ne sont pas venus voter aux primaires puissent croire à nouveau dans la promesse républicaine afin de ne pas finir par
désespoir dans le vote des extrêmes et en particulier de l’extrême droite. Voilà le défi qu’il va falloir relever avec cette France métissée qui fait partie de la République
française. ».
Contre-vérité sur la gestion de la crise financière
Sur le registre de la crise financière depuis 2008, François Hollande a affirmé faussement : « Il s’est trompé de diagnostic sur la finance privée dont il a pensé que le sauvetage des banques sans contrepartie suffirait à les
domestiques. ».
Si ! Il y a eu contrepartie, contrairement à ce que prétendent les socialistes de façon récurrente.
Alors que les banques n’en avaient généralement pas eu besoin (elles ont eu des pressions pour accepter cette aide), cela a rapporté à l’État 4 milliards d’euros, soit plus que le montant
supposé, à savoir 2,5 milliards d’euros (en fait 7,5 milliards d’euros sur cinq ans), des 60 000
postes de fonctionnaires de l’Éducation nationale que François Hollande voudrait créer.
Indécision
L’un des talons d’Achille de François Hollande est celui de ne pas vouloir prendre clairement position. Cela
lui a permis de préserver son esprit consensuel mais il est des moments où il faut prendre des décisions, quitte à décevoir certains.
Martine Aubry, qui est capable de trancher clairement, a montré depuis trois ans que la
gestion d’un parti nécessitait plus cette capacité à prendre des décisions pour faire revivre les idées que cette chape de plomb du consensus sans saveur.
Ce 22 octobre 2011, François Hollande a illustré une nouvelle fois cette aptitude à l’indécision, qui
pourrait d’ailleurs être interprétée comme une savante habileté politique, sur la question du nucléaire sur qui se focalisent es négociations avec les écologistes : « Un homme seul ne peut pas décider de tout,
sur tout, pour tout. Un pouvoir même légitime ne peut s’arroger le monopole de l’action publique. (…) Les citoyens doivent avoir leur mot à dire sur les grandes décisions qui les concernent,
c’est la démocratie participative [chère à Ségolène]. Elle trouvera sa place dans le grand débat que nous ouvrirons au lendemain de l’élection présidentielle sur l’avenir énergétique de la
France. ».
Stratégie de campagne
Maintenant, François Hollande va devoir choisir entre deux tournures de campagne d’ici le 22 avril 2012 (le
premier tour).
Il pourrait laisser faire sa nature profonde (après tout, la vérité est l’un des grands principes avec
lesquels il veut aborder la campagne présidentielle, les autres étant la volonté, la justice et l’espérance), et se contenter de faire du social-libéralisme mitigé. Cela permettrait de flirter
avec les électeurs centristes, de rassurer les marchés un peu inquiets par les envolées lyriques de quelques hiérarques socialistes et se présidentialiser en renforçant son esprit de
responsabilité.
J’estime qu’une telle voie le mènerait à de grandes désillusions.
D’abord parce qu’il laisserait le champ libre sur sa gauche aux démagogies les plus efficaces contre la construction européenne. Il suffit d’écouter Jean-Luc Mélenchon pour se rendre compte que ce dernier a bien l’intention de capitaliser (eh oui !) tous les
mécontents de gauche : « Dans la tempête actuelle, piloter le bateau comme [François Hollande] le propose, ce n'est pas du tout raisonnable. ».
Ensuite, parce qu’il ferait finalement une politique centriste, et que, dans cette perspective, François Bayrou est bien plus crédible et bien plus cohérent que le candidat socialiste.
Résultat, il risquerait la même chose que Lionel Jospin, celui de faire une campagne de second tour pour le
premier tour et de décourager son propre électorat.
L’autre possibilité, bien sûr, soutenue par Arnaud Montebourg et l’aile gauche des socialistes, ce serait au
contraire de gauchiser le discours de François Hollande. Cela aurait l’avantage de rassurer ses électeurs, de les mobiliser, de renforcer la bipolarisation factice et de garantir un bon score au
premier tour en vue du second.
Mais il y aurait aussi de nombreux inconvénients à cette stratégie.
Par exemple, il rendrait beaucoup plus instable la situation financière de la France et il ne faudrait pas
minimiser les conséquences d’une éventuelle dégradation de nos dettes souveraines : elle coûterait à l’État plusieurs dizaines de milliards d’euros par le simple effet de défiance, ce qui
réduirait encore plus les marges de manœuvre après 2012.
Son discours serait également moins convaincant car moins en phase avec sa philosophie personnelle, plus
"faux" que ce qu’il voudrait apparaître. Moins crédible et moins responsable. Et surtout, il montrerait qu’il serait prisonnier des archaïsmes dont son propre parti n’a jamais réussi à se
débarrasser depuis mars 1983.
Rester dans la facilité
D’inexactitudes en mauvaise foi, d’effets de préau à incantation nostalgique des fantômes du socialisme
historique, François Hollande veut croire que c’est bientôt son heure. Il peut compter sur l’ensemble des apparatchiks du PS qui pourtant le détestent et regrettent la descente aux enfers de leur
mentor, Dominique Strauss-Kahn, car il sait que leur ambition personnelle passera par son élection. C’est
sa chance.
Comme ce fut la chance d’Édouard Balladur lorsqu’il a commencé sa campagne présidentielle de 1995.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (24 octobre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande
vainqueur.
Y a-t-il
accord possible entre Bayrou et Hollande ?
Les 60 000 anges de François Hollande.
Rien n’est jouée.
Discours de François Hollande le 22 octobre
2011 (verbatim).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-reve-francois-ou-l-esprit-de-la-102939