Et personne

"Et bien, comment vas-tu?
-Il me semble que j'ai déjà répondu à cette question une quantité de fois.
-C'est vrai. Mais aujourd'hui, comment vas-tu?
-Comme toujours.
-Mais encore?
-Vous êtes chiant avec ça. Distancié, indifférent, ni bien, ni mal. Vide. Voilà, satisfait?
-Comment s'est passé ta semaine?
-Comme d'habitude, travail, cours, rien d'autre.
-On ne va pas aller loin comme ça.
-'Fectivement.
-Et le boulot ça marche, tu fais tes chiffres?
-Oui, ça va. Sauf que samedi dernier je n'ai vendu que du matériel Apple, et sans services. Avec ça, j'ai flingué correctement mon ratio, mais bon. Et puis, j'ai terminé la petite formation en ligne, assez rapidement.
-Ça t'a plu ?
-Enormément. Et puis, ça a fait très plaisir à mon collègue qui m'y avait inscrit. Il devient peu à peu un ami, et ça m'a touché qu'il me dise être content de m'avoir fait confiance, qu'il pouvait compter sur moi. C'était la moindre des choses que je fasse ça au plus vite.
-Voilà qui est bien, non?
-Oui. Simplement, j'y ai réfléchi cette semaine, il y a cette satisfaction lorsque l'on est content de mon travail, et je ne peux m'empêcher de penser que ça fait de moi, disons, un enfant qui agit pour qu'on soit content de lui. Je devrais faire les choses pour moi-même, et pourtant...
-Pourtant c'est tout à fait normal d'apprécier la reconnaissance des autres personnes à ton égard.
-Mais pourtant, j'ai beau apprécier le fait d'être seul, depuis quelques temps, je ne me comprends plus.
-Je crois que c'est par là qu'il faut que tu commences: accepter ta dépendance affective. Et ce n'est pas que pour toi particulièrement, c'est le cas de tout le monde.
-Ah, du genre l'alcoolique qui dit "moi je n'ai pas de problèmes avec l'alcool".
-Je passerai sur ta plaisanterie.
-Mais pour un narcissique à la con dans mon genre, contradictoire d'accepter sa dépendance affective, non?
-Oui, et particulièrement dans ton cas, cette fois-ci.
-Hum...
-Oui?
-Je pose la question à tout hasard, mais cette difficultés avec les gens,d'où ça vient nom de dieu?
-Je suppose, de la relation que tu as eue avec ta mère dans ta petite enfance.
-Bordel, pourquoi je demande moi, encore celle-là"
Je remarque que nous croisons tous les deux les bras en même temps.
"Un problème avec ta mère?
-Pas spécialement. Simplement, je comprends pourquoi lui a été si facile de faire une croix sur trois ans avec moi.
-Tu ne peux pas t'empêcher d'y revenir?
-Allez vous faire voir, je croyais qu'il fallait exprimer ce qu'on ressentait.
-Je t'en prie, continue.
-Effectivement, j'ai fait fuir tout le monde autour de moi. C'est tout ce que je mérite, je ne suis qu'un connard, une petite merde, et rien de plus. Mais bordel, qu'est-ce que j'ai été aveugle tout ce temps!
-A propos de?
-A votre avis? Vous savez, je ne vous l'ai jamais dit, mais au début elle est quand même allée jusqu'à dire à son médecin qu'elle espérait que ça ne dure pas longtemps entre mon amie et moi. Et toutes ces crises lorsque je ne rentrais pas chez moi pour dormir ou manger. Et moi comme un idiot, je restais totalement passif, plus occupé à me cuiter pour ne penser à rien de tout cela. Merde, maintenant, tout ce que je souhaiterai, c'est avoir une vie normale, du genre attendre le week-end, travailler, boire un verre en sortant du travail, aller au cinéma ou à l'opéra. Au lieu de ça je suis seul comme une merde, et c'est tout ce que je mérite parce que je l'ai bien cherché.
-Tu crois vraiment ce que tu dis?
-Je ne peux plus me voir dans un miroir, je me déteste à un points, inimaginable. Tout ça pour quoi, parce que je n'ai pas eu assez de couilles pour affronter la réalité des choses en temps voulu. Et maintenant il est trop tard. Oui, maintenant il est trop tard pour tout, putain."