Compte rendu de l’audition des plaignants «J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable des tortures que j’ai subies»
On m’a enlevé mes vêtements, mis un bandeau sur les yeux et menotté. On m’a allongé sur un banc et on m’a frappé avec une barre de fer sur les orteils, sur les parties génitales et sur le torse.
Pendant que quelqu’un versait de l’eau sur ma bouche couverte par un chiffon. Lorsque j’ai perdu conscience, ils m’ont brûlé avec un chalumeau pour me réveiller.» C’est là un extrait du rapport détaillé de l’audition qui s’est tenue vendredi à l’hôtel de police de Genève dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre du général à la retraite, Khaled Nezzar, pour un soupçon de crimes de guerre.
Le récit est celui de Daadi Seddik, un des deux plaignants, qui raconte avec précision, lors de cette audition et en présence de l’accusé, les pires moments de la torture subie pendant son arrestation à Alger le 17 février 1993 à 2h du matin.
«Après cette première séance de torture, ils m’ont laissé une journée dans un couloir puis ils m’ont placé dans une cellule pour 11 à 12 jours et chaque jour je subissais la même séance de torture qui durait 3 à 4 heures, le dernier jour ils m’ont torturé près de 5 heures puis ils m’ont violé(…)», est-il précisé dans le document dont El Watan a pu se procurer une copie. Pourquoi cette plainte est déposée contre l’ancien membre du Haut Comité d’Etat (HCE) et ministre de la Défense de 1991 à 1993, Khaled Nezzar ? «C’est lui qui dirigeait l’Algérie à cette époque. J’accuse Khaled Nezzar d’être responsable de la torture que j’ai subie en Algérie. S’il dit qu’il n’a pas donné d’ordre, pourquoi n’a-t-il pas jugé ces gens ?» répond Daadi Seddik en présence des avocats, du procureur fédéral assistant et du procureur fédéral suppléant. Ancien employé de daïra, militant au sein de l’ex-FIS, Daadi Seddik, qui était recherché lors des événements d’Octobre 1988, a été emprisonné durant une année après ce fameux 17 février 1993. Après quoi, il a pu quitter le territoire pour fuir le harcèlement policier qui lui a été imposé, raconte-t-il, allant d’arrestation en arrestation après sa libération.
Rentré de Suisse en 1995, il subira une énième arrestation qui finira encore une fois en séance de torture de 43 jours. Il a quitté définitivement le pays quand il a été relâché pour se réfugier une seconde fois en Suisse.
Supplice du chiffon mouillé
«En 1993, j’ai été arrêté trois fois par la police pour des interrogatoires jusqu’au soir où des parachutistes sont arrivés chez moi et fouillé partout. Une dizaine de personnes portant des cagoules m’ont embarqué. (…) On m’a demandé de me déshabiller, on m’a ligoté les pieds et les bras, on m’a mis un morceau de tissu sur le visage et on y a versé de l’eau pour m’obliger à dire que je soutenais des groupes armés. J’ai inventé des réponses fausses pour échapper au supplice après dix jours de torture», raconte pour sa part Ahcène Kerkadi, chirurgien dentiste anciennement installé à Meftah, également sympathisant du FIS et ancien maire adjoint.
Ce deuxième plaignant lors de la même audition, mettant en cause le général à la retraite, Khaled Nezzar, a lui aussi pu quitter l’Algérie après avoir été libéré pour se réfugier en Suisse.
Cette déposition est donc une première étape dans la procédure faisant suite au dépôt de plainte de ce 20 octobre par Daadi Seddik et Ahcène Kerkadi, en qualité de partie plaignante dans le cadre d’une instruction ouverte à l’encontre de Khaled Nezzar par le ministère public de la Confédération, en date du 19 octobre, «pour soupçon de crimes de guerre commis en Algérie durant le conflit armé interne de 1992 à 1999».
L’ancien homme fort du régime a été interpellé suite à une demande du parquet jeudi matin, alors qu’il était en visite dans la capitale helvétique pour des soins.
Il a été auditionné par le procureur après que ces deux plaignants eurent déposé leur plainte. Il a été libéré vendredi soir après avoir garanti qu’il resterait à la disposition de la justice suisse à partir d’Alger. Mais les deux plaignants ne semblent pas avoir dit leur dernier mot. «Je dispose d’éléments contre le général Khaled Nezzar, mais je ne peux pas les dire en sa présence. Il y a des militaires dissidents qui ont beaucoup de choses à dire, si la procédure se poursuit», a précisé Ahcène Kerkadi lors de cette audition.