L’auteur de La maison des feuilles ne pouvait pas faire un livre ordinaire. Son traducteur ne pouvait laisser passer l’aventure. Car les mots de Mark Z. Danielewski ne sont sans doute pas simples à traduire et le travail de Claro a sans doute été plus d’adapter que de traduire. Partis-pris des couleurs (le O vert ou doré comme le sont les iris des yeux de Sam ou de Hailey, les personnages du roman), mise en évidence de certains noms de végétaux ou d’animaux, de certains métiers, la façon d’écrire noUS (pour affirmer le « nous » ou une forme de négation de ce « nous » américain ?), autant de procédés qui font de l’écriture un outil multiple, et jouent sur la perception des mots.
On retient d’abord les indications de lecture : huit pages d’un côté et huit pages de l’autre. La taille du texte se réduit au fur et à mesure du récit. Les saisons passent, l’histoire de Sam et Hailey avance, traverse le monde vu par leurs yeux de seize ans. « Nous sommes seuls, nous sommes fiers, sauvages et libres ». Ils sont le rêve, ils inventent des mots, ils sautent de voitures en voitures comme si c’était ça la vie. Ils auront toujours seize ans, parce que le livre, à la fin, peut toujours se retourner et recommencer au début, et parce que la chronologie qui se déroule au milieu des pages (et que j’ai assez vite abandonnée) s’arrête soudain comme si leur récit en faisait fi.
Certes, ce livre ne m’a pas donné autant d’enthousiasme que La maison des feuilles, mais il tient son pari et sa lecture confirme son titre : le O tourne, et accomplit ses révolutions et l’œil du lecteur en fait autant. Nous y sommes encore.