Écouter parler Claude Guéant, c'est un peu assister à un cours d'anatomie, ou se promener dans la galerie de l'évolution au Muséum d'histoire naturelle. " François Hollande n'a pas la carrure [...] pas d'épine dorsale. Il ne suffit pas d'être élu de Corrèze pour avoir la stature de Jacques Chirac ". Le dog(u)e de la place Beauvau, psalmodiant le lai du sarkozysme avec la constance d'un moulin (à prières, ou à paroles, on tranchera) a l'œil perçant : il distingue, sous l'épaisse couche de paroles, de vêtements et de peau des adversaires de son président, l' ossature, et la dissèque avec l'assurance d'un croque-mort.
La carrure, " largeur du dos à l'endroit des épaules ". On cherche donc un président aux épaules larges, ou plus exactement éloignées les unes de l'autre. Une sorte de cube compact, sur laquelle viendront peser tous les malheurs du pays. Mais attention, on veut aussi de la stature, " hauteur de la taille d'une personne ". Il va donc falloir allonger un peu notre cube, qui du coup se parallélépipédise. Nous voilà en quête d'un container, d'une barrique, aux armatures renforcées, avec une bonne " épine dorsale ".
Une masse. Rigide, hérissée d'une épine. Tel serait donc l'imaginaire du sarkozysme en cette fin de mandat. Le tirailleur en perpétuelle guerre de mouvement s'est progressivement ralenti, pour finir à l'arrêt, statufié, calcifié, fossilisé, misant sur sa masse ramassée pour tenir le coup sous l'orage, les sondages, les dérapages. Un univers quasi-carcéral, tout d'horizontales (carrure) et de verticales (stature), comme une case dans laquelle on invite les Français à venir se réfugier une fois encore, pour affronter la crise.
Guéant n'a pas dû lire La Fontaine. Ou plutôt, il a du s'arrêter en cours de route, aux forfanteries du chêne à l'égard du roseau. " Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ; / Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau. / Le moindre vent, qui d'aventure / Fait rider la face de l'eau / Vous oblige à baisser la tête : / Cependant que mon front, au Caucase pareil, / Non content d'arrêter les rayons du soleil, / Brave l'effort de la tempête ". Eût-il prolongé sa lecture qu'il s'en serait peut-être inquiété : " Votre compassion, lui répondit l'Arbuste, / Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci. / Les vents me sont moins qu'à vous redoutables. / Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici / Contre leurs coups épouvantables / Résisté sans courber le dos ; / Mais attendons la fin. ". Et là arrive le redoublement de la crise (la totale, genre explosion de la dette et perte du AAA) : " Comme il disait ces mots, / Du bout de l'horizon accourt avec furie / Le plus terrible des enfants / Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs. / L'Arbre tient bon ; le Roseau plie. / Le vent redouble ses efforts, / Et fait si bien qu'il déracine / Celui de qui la tête au Ciel était voisine ". Fin de l'histoire, par K.O.
Voilà donc un peu le drame du président sortant, réduit à une argumentation de résistance, réduit à expliquer qu'il faut le réélire car il est le sortant, car il est là, car il a traversé les crises et les polémiques. Persévérer dans son être serait sa principale qualité. Et son défaut : car tel le chêne, il est posé là, raidi sur sa posture, arrivé au bout de ses ruptures, de ses mensonges et de ses promesses non tenues. Condamné à faire marteler par ses sbires des éléments de langage en bois massif, à se crisper sur ce qu'il est (ou plutôt sur ce à quoi il est réduit), à ânonner ses promesses d'ordre, de sécurité, de pouvoir d'achat.
Laissons donc à l'omniprésident la carrure, le carré, inflexible face à la demande populaire au point de s'être coupé du peuple. Et substituons lui la qualité du roseau, qui dialogue avec l'environnement extérieur pour mieux tenir sa ligne. Qui ne s'enferme pas dans un quitte ou double autiste - " je ne céderai rien, jusqu'à être balayé, je ne céderai pas devant les manifestants des retraites, je maintiendrai mon obsession sur l'identité nationale, je n'en ferai qu'à ma tête avec l'éducation nationale ".
La qualité du roseau : on pourrait l'appeler la courbure. Donc on se demandera maintenant si un candidat à la magistrature suprême a, non pas la carrure, mais la courbure nécessaire pour prétendre au poste. Saura-t-il être ce qu'il est tout en écoutant la population, saura-t-il composer avec le contexte, saura-t-il mettre les formes, les arrondis, aux décisions difficiles qu'il prendra, ou cherchera-t-il au contraire le choc, la division, la rupture d'avec les Français, qui viennent se briser sur ses arrêtes ? Au sortir de cinq interminables années de carrure sarkozyste, le besoin est grand de - qui s'appelle aussi normalité.
Romain Pigenel
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