Vous connaissez sûrement cette pratique éditoriale qui consiste à barder de citations élogieuses (ou amputées avec malice) la quatrième de couverture d'un ouvrage. Et bien de ce point de vue, Criminal de manque pas de sex-appeal, les deux volumes qui constituent sa première mouture alignant les éloges de David S. Goyer (scénariste des films Blade et des deux Batman de Christopher Nolan), Brian K. Vaughan (Y the Last Man) ou encore Frank Miller (Sin City), qui signe même une introduction. En même temps, le creator-owned d'Ed Brubaker, l'homme qui a tué Captain America, et Sean Phillips (compagnon de Robert Kirkman sur Marvel Zombies), est ce qu'il se fait de mieux en matière de polar. Ceci explique donc cela.
Et pour une fois, j'ai bien choisi mon moment pour vous causer de cette production publiée chez Marvel (Delcourt du côté de chez nous plutôt que de celui de Swann), puisque la deuxième série vient tout juste de débuter aux Etats-Unis. Criminal Mark I narre deux histoires : celle de Leo (Coward), as du braquage en retraite anticipée depuis le fiasco qui a coûté la vie à ses partenaires, qui va rempiler une dernière fois aux côtés de flics ripoux pour un ultime tour de piste ; et celle de Tracy (Lawless), militaire dur à cuire qui va infiltrer le gang de bandits que menait son frère pour découvrir les raisons de sa mort. Seul point commun de ces deux histoires : l'Undertow, un bar où se rassemblent cordialement criminels endurcis et autres petites frappes, l'unique repère chronologique de ce diptyque.
Mettons de côté l'originalité, ce n'est pas sur ce plan que Criminal se démarque, en atteste, par exemple, la construction de la première histoire : un mec retiré du milieu accepte un contrat un peu louche, l'affaire part en cacahouète, les pertes sont lourdes pour lui mais dans un sursaut de courage, il remet les compteurs à zéro. Du côté des personnages, les clichés aussi ont la vie dure (une femme fatale, un gros bonnet de la drogue...), mais Brubaker les manie avec une telle virtuosité que le classicisme s'évapore dès les premières pages. A la place, on s'attarde ici sur la finesse des dialogues, là sur une charge émotionnelle inattendue (la relation entre Léo et le vieil ami de son père, atteint de la maladie d'Alzheimer, celle qui l'unit à la veuve de l'un de ses équipiers ; l'amourette entre Tracy et l'ex de son défunt frère), ailleurs sur l'ambiance terriblement sombre qui enveloppe les deux récits (pourris à tous les coins de rue, "héros" qui subissent autant qu'ils brillent, action de nuit principalement...). Sur leur réalisme cru, aussi, comme le dit justement Frank Miller, qui remarque que, dans les pages de Criminal comme dans la rue, quand on est abattu on ne décolle pas du sol pour aller s'effondrer sur le stand d'un marchand de hot-dogs une poignée de mètres plus loin.
Enfin, si Brubaker a bien mérité son Eisner Award de Best Writer en 2007 et Criminal une telle distinction dans la catégorie Best New Series la même année, il serait cruel de passer sous silence la mise en images remarquable de Sean Phillips (colorisé par Val Staples), son encrage appuyé et ses jeux d'ombres parfaitement dans le ton. Conclusion : plus qu'un hommage au genre "noir", Criminal en est une définition. Et s'il fallait un regret, ce serait le même que celui exprimé dans mon article sur The Walking Dead, à savoir l'absence des couvertures originales au sein des TPB.
Criminal - Volume 1 (Marvel) - 2006-2007