Non mesdames, messieurs, si vous vous attendiez à voir Courtemanche dans le costume d'Adam redirigez- vous tout de suite ailleurs.
Je me rappelle très très bien ce jour de canicule de juillet 1997. Comme j'oeuvrais moi-même dans le milieu artistique, mon plus grand cauchemar était de mourir sur scène. Pas de mourir au sens propre mais de voir ma carrière se décomposer publiquement. Je ne travaillais pas SUR la scène mais mes créations s'y trouvaient régulièrement. J'en avais même fait un cauchemar un soir avec mon père comme victime d'un gag public qui faisait dramatiquement faux bond.
L'humoriste Michel Courtemanche a incarné ce cauchemar par ce chaud soir de juillet 1997 dans le Vieux-Port de Montréal.
À cette époque, un autre humoriste, Jean-Marc Parent, avait fait fortune en faisant tout simplement n'importe quoi sur scène. En improvisant, en racontant tout ce qui lui passait par la tête dans des spectacles qui duraient parfois entre 4 et 5 heures. Du Charlie Sheen avant l'heure. Avec la même paresse et absence de recherche de qualité. Il se trouvait étrangement beaucoup de gens pour prêter oreille à son type de spectacle; spectacles qui n'était pas de l'humour autant qu'une soirée de conteur en compagnie d'un homme d'apparence modeste, trippeux de musique, de nostalgie et de terribles lieux communs. La réponse du public était si grande qu'elle trahissait du même coup une grande solitude de la part des gens qui la composaient. Les gens avaient besoin de se faire raconter des choses. Aussi plates soient-elles. Et de vivre l'écoute en groupe. Comme en commune. Une commune pleine de coton ouaté à tête de chien et de laissé-pour-contre.
Bien des gens s'insurgeaient contre cet "humoriste" dont la plus scintillante idée avait été de faire "flasher les lumières", tout le monde en même temps au Québec, pour faire comme une grosse guirlande qui s'ouvre et s'éteint de la province à tête de chien...vu de la lune? Personne n'est allé vérifier.
Parmi les critiques il y avait les humoristes eux-mêmes qui ne considéraient pas ce type de spectacle comme une technique propre à leur milieu. Michel Courtemanche avait alors lancé en boutade et avec un zest d'arrogance que n'importe qui pouvait faire ce type de spectacle sans même en avoir le talent. On l'avait pris au mot et l'avait alors mis au défi de faire un spectacle improvisé lui aussi sur scène extérieure dans le cadre du Festival Juste Pour Rire. Il devait improviser pendant 3 heures toutefois après 40 minutes...il panique, se prend la tête, hurle qu'il n'aurait jamais dû accepter ce défi...personne ne s'amuse de ses blagues, tout comme un peu plut tôt dans la soirée au Théâtre St-Denis, la réception de son humour est inexistante dans le public. Au St-Denis, Courtemanche était suffisament cocaïné, suffisament sous l'emprise de multiples alcools et drogues pour alors s'en moquer. Mais là dans le Vieux-Port, il dégrise. Il gèle. Il n'a même plus envie d'être sur scène. Ce qu'il voit c'est la fin du monde. Son cerveau le lâche, il quitte la scène et n'y reviendra jamais plus.
Au début des années 90, Courtemanche était millionnaire, il avait la luxueuse maison, la voiture du même acabit, il mènait la grosse vie en brûlant la chandelle par les deux bouts. Les cocktails de drogues, les médicaments, l'ecstasy le speed , payer la tournée pour tous ses amis font partie de sa routine habituelle. À la télévision quand on annonce sa déconfiture publique, les "chroniqueurs" Alain Dumas et Patricia Paquin (la même qui avait annoncé "l'assassinat" de Dédé Fortin) ne se retiennent même pas pour dire de Courtemanche qu'il l'avait un peu cherché.
Pendant trois ans, Courtemanche perd tout. Il réalise que son père était bipolaire et qu'il l'est probablement lui aussi. Avant d'être diagnostiqué de la sorte et d'être traité, il se tape une semaine de destruction où il fait la fête pratiquement sans dormir, fait ses adieux à ses chums de brosse et ses dealers et s'envoie dans la narine 7g de coke la veille de son départ en désintoxication...Il ne consommera plus jamais par la suite.
Il sera maintenant sur ordonnance pour la vie.
Je tenais tant à écouter Michel Courtemanche, l'Homme qui Faisait des Grimaces, le généreux documentaire de Guy Boutin (un gars que j'ai côtoyé à l'école du cinoche) que je me suis couché en après-midi afin d'avoir suffisament d'attention en soirée de 23h a minuit pour en écouter la bouleversante première partie sur les ondes de Canal Vie. C'est en reprise le jeudi à 15h et le dimanche le 30 à 20h.
Plus drôle que triste (bien que touchant), on apprend dans le documentaire que la bipolarité prend en moyenne 14 ans à être diagnostiquée (!!)
Une question pour les gens de Canal Vie. Si on veut vraiment faire connaître les demesures de cette pénible maladie, pourquoi l'envoyer dans une case horaire si tardive un lundi et la faire réapparaître de jour ou en reprise à l'heure où tous les yeux sont ailleurs? C'était une exigeance de la part de l'artiste? Je ne crois pas, le lendemain matin dans toutes les bonnes épiceries, à la une d'un magazine jaune, la même histoire et ses détails avec la bouille de Courtemanche bien en vue aux caisses.
Autre chose, un générique : ON VEUT LE LIRE. Surtout la première feuille. Les stations qui réduisent l'image pour la mettre dans un petit coin afin de nous ploguer le show d'après méritent la mort. Femmes enceintes sans le savoir? veut pas le savoir non plus!
Voilà 14 ans que la bipolarité a détruit Michel Courtemanche. Voilà 4 ans qu'il reconnait et traite sa maladie.
Voilà un impressionnant geste d'humilité que de se représenter dans le grand cirque de la télé sous cet angle.
Voilà un document incontournable pour quiconque veut commencer à comprendre la bipolarité.
Commencer à comprendre.
Seconde partie lundi le 24, 23h. rediffusion jeudi suivant 15h et le dimanche 20h.