De Syrte à Foshan, la position du spectateur avachi

Publié le 22 octobre 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“J’entendais encore ce matin un intellectuel à gage / Qui étalait à la radio le contenu de son bagage” F. Alpi cité par S. Fontenelle dans La position du penseur couché

Par les images d’atrocités, le caractère totalitaire de l’industrie médiatique accompagne le citoyen d’une dictature de l’émotion à celle de la gêne. C’est-à-dire une posture stérile d’observateur mis en face d’une “vérité” capturée. Un témoin de la démocratie occidentale qui juge le monde au travers de son indignation molle, par les prismes qui lui sont proposés : le trépas stroboscopique du dictateur libyen baignant dans son sang sur un sable d’arène, le regard noir, vide, inhumain. Ou le martyr insupportable d’une gosse agonisante dans un marché chinois, horrifiante obscénité du détachement. Passé le stade cru émotionnel face à la mise à mort, la scénographie médiatique tend à faire réfléchir. Petitement et provoque la gêne.

Christopher Dombres

Un consommateur/spectateur gêné par les paradoxes et la complexité de ce type de situation. Abreuvé quotidiennement de realpolitik aux fondements cliniques. Dont le seul objectif consiste à démontrer rationnellement la démission de la morale. Tel un ministre qui vante les vertus de l’exportation de systèmes d’armes ultra perfectionnés capables d’éradiquer méticuleusement. Tel un expert louangeur distribuant à l’encan ses dithyrambes pour le modèle d’expansion économique de l’empire du Milieu. Et ce dans le cadre exalté de l’émulation du commerce international.

Gêné aussi par la procession médiatique d’archevêques de la pensée, théoriciens de la démocratie. Analystes du savoir-vivre en écosystème exotique, c’est-à-dire par-delà les frontières du monde civilisé. Capables d’expliquer pourquoi dans une société sortie des affres du maoïsme et livrée au paradigme de la cupidité, les passants peuvent laisser crever une gamine par peur de représailles financières. Ou en quoi la peine de mort est une abomination sauf quand il s’agit de dictateur, que l’on affuble une fois déchu de sobriquets. Noms d’oiseaux que l’on s’était bien gardé de verbaliser lorsque l’un de ces derniers vint camper dans la capitale du pays des droits de l’homme. Relations commerciales obligent, realpolitik aussi.

Un écosystème composé de dirigeants cyniques, de mauvais bons, pédagogues de la turpitude pour les intérêts économiques du pays. Et de façon complémentaire, des diacres de la morale en chasuble immaculé assurant la mission de rendre l’intolérable tolérable. La gêne après l’émotion du citoyen civilisé réside dans l’intégration de ces deux facettes de la fanfaronnade politico-médiatique. Le renvoyant à son inaction, sa médiocre posture outrée. Lui, le spectateur avachi a raté l’occasion de ne pas élire des hiérarques à sang froid. Tout en gobant les paroles de leur service après-vente, ces pantins grimés en penseurs.

Vogelsong – 21 octobre 2011 –  Paris