Laurence Tardieu a une nouvelle fois lancé sa petite musique, pour nous faire suivre la quête têtue d'une femme de 30 ans emportée par un élan vital irrépressible alors qu'elle est en deuil de son père qui vient de mourir, et qu'elle ne cesse d'être obsédée par l'image impossible à construire de sa mère.
Cette dernière est morte alors que l'enfant avait 5 ans. Le père a tout effacé d'elle, plus de photos, plus d'objets pouvant la ramener en souvenir et aussi plus un mot, même pas son prénom.
L'enfant entrevoit la douleur immense, la faille qui pourrait dévaster son père encore un peu plus, alors, elle accepte, elle subit, elle fait avec, et autour de ce creux, de ce manque, elle se construit en marge, en négatif, en ombre...
La mort qui emportera son père le poussera à lui lâcher un secret trop longtemps retenu, Blandine a aimé un autre homme, il s'appelle...
La révélation de ce secret,( enfin quelque chose de dit sur sa mère) va mettre la narratrice en quête. Avec courage, elle va affronter son fantôme chéri, espérer lui donner chair et âme, le retrouver et savoir... Ce qu'elle découvrira la mettra en paix, et lui ouvrira une nouvelle porte sur la vie...
Encore une fois, Laurence Tardieu nous parle de ce cheminement difficile du deuil qui arrive par des détours mystérieux à mener à l'apaisement. Cela semble être la grande affaire de l'auteure, mais elle est experte en la matière. Elle sait parler de ce qui sert de tremplin à l'âme pour prendre les chemins de la vie. Elle nous dit comment ce sentier est balisé d'œuvres d'art, qu'il s'agisse de musique, de littérature, ou de peinture..
Par petites touches, comme un tableau impressionniste, ce texte fait vibrer la lumière , les couleurs bleues et blanches, et il en devient vibrionnant d'émotions. L'art a une grande importance dans ce récit et il apparait comme le meilleur onguent pour masser les bleus du cœur ; Laurence Tardieu nous offre de belles pages sur ces moments précieux que peuvent apporter la peinture, la musique, la lecture et l'écriture .
La couleur bleue :
"Je choisis ma robe préférée, une robe de coton bleu. Comme chaque fois que je la mets, je pense à ma mère : dans les rares images qu'il me reste d'elle, je la vois en bleu. ... seulement une grande tâche bleue sur le corps de ma mère. Un mouvement bleu qui avance vers moi ...Me suis-je endormie avec ce bleu au creux de moi ?"
"Alors nous nous étions baignés, tous les jours, dans cette mer bleue et radieuse qui nous apaisait...
... J'ouvrais les yeux, juste un instant, et j'apercevais le ciel au-dessus de moi, vaste et bleu, éblouissant."
... "Je me lève. Voilà, je me lève. Ce n'est pas difficile après tout. Même en robe bleue ce n'est pas difficile."
..."Je viens vers vous. Je n'ai pas changé de tenue : j'ai gardé ma robe bleue."
..."Le ciel est immense, rien qu'à le contempler, il me semble que je pourrai m'y perdre."
...j'enlève ma robe, j'enlève le bleu...
... J'écris sur un cahier bleu, un cahier d'écolier à grosse spirale.
...Les dimensions du tableau doivent approcher les deux mètres sur trois. Je me perds dans la contemplation de ce bleu que rien ne semble pouvoir troubler. Cela ressemble à une image du bonheur
... Je préférais rapporter le bleu vaste, apaisé et éclatant de la mer.
...Le mouvement bleu, flou, fantasmagorique, s'était transformé en une réalité : un corps, des gestes, des paroles, aujourd'hui disparus, mais qui, de manière certaine, avaient existé.
...Il portait une chemise bleue pâle que je ne lui connaissais pas et qui donnait à son visage une douceur singulière.
La couleur Blanche :
... et soudain son visage qui s'éclaire, il rit, mon Dieu il rit, comme ce moment est merveilleux, j'ai envie de pleurer, de me jeter dans ses bras, de le couvrir de baisers, je ramasse une autre boule de neige, je l'envoie sur lui...
...j'aimerais que cela ne cesse jamais, j'aimerais qu'il neige tous les jours, oh comme nous serions heureux, lui et moi, dans tout ce blanc étincelant."
..."Ta mère aimait les paysages de neige. Elle en a peint beaucoup. C'étaient ses plus belles toiles, je crois."
..."Je me lève. j'allume la radio. La voix de Michel Berger : Je m'en irais dormir dans le paradis blanc, Où les nuits sont si longues qu'on en oublie le temps, Tout seul avec le vent, Comme dans mes rêves d'enfant."
..."J'aimerais croire que je n'étais nulle part. J'aimerais croire que je m'étais effacée, pour un instant, du monde des vivants. la petite fille n'existait pas. La petite fille était au paradis blanc."
La musique :
"La seule chose qui m'apaisait, qui me consolait, éclairait ma vie, c'était la musique : je passais des heures à en écouter, allongée sur mon lit.
... La musique était mon refuge. Certaines musiques, certains textes me faisaient pleurer.Je me disais qu'ils avaient réussi à saisir un je-ne-sais-quoi de fragile et de fulgurant qui avait quelque chose à voir avec la beauté de la vie. Je ne faisais rien pour arrêter mes larmes. Tout le reste était clos, hermétiquement clos : aucun accès à la vie; aucun accès au mouvement.
...Je ferme les yeux, je cesse d'écrire, la musique emplit la pièce, je vois le piano, je vois ma mère, son dos, sa nuque, ses mains...
..Je voudrais que cela dure longtemps, que ma mère ne s'arrête pas de jouer, que la musique nous emporte toutes les deux, ...
..."Certaines musiques, parce qu'elles m'ont emportées, m'ont fait entrevoir ce que la vie avait de large et d'infini, de fragile et d'unique, d'irrévocable, d'éternel."
Je mets de la musique : les rêves d'amour de Liszt.Mon père n'aimait pas...
...Lui qui aimait tant Schubert, ses mélodies tristes et romantiques, les rêves d'amour l'effrayaient...
...Je m'étais dit, dans un éclair, que ma mère, peut-être, elle aussi, aimait les Rêves d'amour. ça avait été une pensée heureuse.
L'écriture :
"Le désir d'un livre ressemble au désir d'un homme, les mêmes vagues au fond de soi, le même mouvement qui n'en finit pas, allant et venant sans cesse, ample, secret, obsédant, magnifique. Ce livre se serait quelque chose à accomplir. ...écrire, c'est aller à la recherche de ce qu'on ne sait pas; Ne pas être certain d'arriver quelque part, mais avancer, la peur au ventre, le désir au ventre, avancer et s'émerveiller du chemin."
..."écrire, est-ce aimer ? écrire, est-ce chercher à être aimé ? Y a-t-il une écriture possible sans amour ? Y a-t-il un amour possible sans mots, sans verbes, sans langage ?
Dire, l'amour. écrire, l'amour. L'écriture provient d'un désir, qui vient de très loin et s'éprouve au présent. Le désir crée l'écriture. Amour, écriture, même abandon. Un mouvement de va et vient, un roulis, qui ne finit jamais et donne corps aux rêves, les entrainant toujours plus loin. Qu'y a-t-il tout là-bas, là où l'amour se détache du temps, du réel, du cadre ? là où l'écriture devient vivante ? Trouverai-je quelque chose ?
..."Est-ce toujours le manque qui guide l'écriture, saurai-je un jour écrire un livre, l'amour comble-t-il tous les manques...
..."l'écriture peut-elle redonner vie à ce qui n'est plus ?
.."Mon père est l'homme qui, parce que nous n'avons jamais rien su nous dire, m'a tant donné envie d'écrire."
..."écrire, c'est approcher au plus près de certaine brulures."
La lecture :
" Ma mère fouille dans son sac, elle sort un livre. Elle lit. Je l'observe. Elle est attentive. Elle est belle. Elle est ailleurs. Je pense que, plus tard, moi aussi je lirai des livres; Je m'évaderai."
."Les livres ne se finissent pas : le mouvement qui les a fait naitre, qui les a fait battre, ne s'achève pas. Les vies non plus.
... je n'ai pas oublié cet instant où mon père, m'apparaissant vulnérable, m'avait semblé profondément humain, plus proche que jamais. Pendant des années je me suis demandé quel était le livre qui avait réussi le prodige de mettre mon père à nu, de l'amener au bord des larmes, au bord de l'abandon....
... C'est ce soir là que j'ai compris que les livres étaient une des expressions les plus fortes, les plus troublantes et les plus vraies de la vie."
Les œuvres :
" Que restera-t-il de l'œuvre ? Qui triomphera ? Entre les amours humaines, fragiles, vulnérables, effrayantes, inintelligibles pour les autres, vouées à la perte, et l'œuvre qui, elle, peut perdurer, continuer à résonner, à se faire entendre, à être découverte, qui triomphe ? Ce qui a vibré puis a été englouti dans la mort, ou ce qui s'est construit et demeure, encore, quelques années ?
"...les souvenirs, ça devient plus beau que ce qui a été, ou moins beau, on ne sait plus. On en perd tant.. ça transforme tout... Et puis c'est violent, ça dévore... les tableaux, ça ne bouge pas.ça reste tel que ça a été. ça ne triche pas."
...savoir qu'on regarde pour la dernière fois une chose qu'on a aimée rend cette chose unique, d'une tristesse et d'une beauté infinies.
Toutes les critiques rencontrées sont élogieuses et pleines d'émotion :
Clarabel en parle : "My God, ce roman est sublime!"
Un article de Marie-Anne Delhomme sur bibliObs.com : "c’est aussi cela la force de la littérature, parler de nous à notre place, et avec Laurence Tardieu, l’écho se fait un complice bouleversant, au-delà de nous-mêmes."
Un autre très bel article d'Anne procureur, sur le blog Léo Scheer : " Laurence Tardieu est, avec ses mots, comme un peintre, elle avance par touches, par couleurs."
C'est un très très beau livre sobre et élégant pour Laure, dans les jardins d'Hélène,
Amanda en parle aussi.
Ce titre est dans la sélection des livres pour le prix Lilas.
Et maintenant, pour le plaisir, et afin de prolonger un peu cette belle lecture je vous propose d'écouter Rêve d'amour de Liszt, illustré avec Le bleu du ciel de kandinski et Blanc de Malevitch
Et puis aussi, parce qu'il ne faut pas bouder son plaisir, écoutons le Paradis blanc de Michel Berger :