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Deux contes pour le prix d'un

Publié le 21 octobre 2011 par Doespirito @Doespirito

Guerre-des-boutonsOn se croirait dans une histoire d'Andersen : un garçonnet haut comme trois pommes paie un livre à la Fnac avec la tirelire qu'il vient de casser. Des dizaines de pièces de 1, 2, 5, 10, 20 centimes d'euros éparpillées sur le comptoir. La caissière farfouille dans le tas, compte et recompte : «25, 30, 35, 40, 50, 60, 80… Il manque 20 centimes !». Elle recompte une nouvelle fois «… 40, 50, 60, 80… Non, il manque encore 20 centimes…». Son visage arrivant à peine à la hauteur du comptoir, le mioche ne pipe pas mot. Je ne sais pas s'il rougit, s'il tord la bouche, s'il roule des yeux, car je ne le vois que de derrière, ses oreilles légèrement décollées, sa nuque dégagée par une coupe de cheveux façon “Guerre des boutons reloaded”.
Tirelire-cochon-roseOn devine des mois de restrictions sévères. Une épargne forcée sur l'argent chichement accordé pour le goûter, seul repas de sa journée de famine. Une cagnotte qui s'est remplie avec une lenteur désespérante, jour après jour, en carottant sur le budget cartes Pokémon. Et puis bientôt, greli-grelo, combien j'ai de sous dans mon sabot, ça s'est mis à résonner dans le cochon. Et les yeux de l'enfant se sont remis à briller. Un enfant qui doit vivre entre une marâtre et un père alcoolique, des frères et des sœurs abrutis par les carences et les coups de ceinturon du Thénardier qui boit les allocations familiales au lieu de se droguer avec. J'entends derrière moi un «Pooooin !» sonore d'une mère de famille qui ne peut retenir sa morve devant tant de misère humaine sur un mètre douze.

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Alors, dans la queue, une jeune femme se décide. Elle sort son plus beau sourire et son porte-monnaie qui s'ouvre en faisant “Cloc”, puis elle pose une pièce de 20 centimes près du tas de ferraille pour faire l'appoint. La file de clients se tortille d'émotion, les sourires de connivence et les mouvements de menton d'approbation se multiplient devant la B-A que tout le monde rêvait de faire. Tout le monde tire bien bas son chapeau. Sauf moi...
La scène me laisse de glace. J'imagine que le gosse nous joue une sombre machination. Qu'il va revenir demain à la caisse avec un CD et un kilo de pièces, moins 20 centimes. Puis après demain avec une console Nintendo et une bourriche de pièces. Moins 20 centimes. Puis après-après demain avec un écran plasma et deux sacs poubelle de 50 litres plein de pièces. Moins 20 centimes. Et qu'il y aura à chaque fois une jeune femme émue qui ouvrira son porte-monnaie qui fait “Cloc”, attendrie par la mascarade du petit diable ricanant discretos dans sa barbe pointue. Et toujours une mère de famille pour se moucher bruyamment dans son Kleenex fripé.
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La caissière me sort de ma rêverie
d'un sonore et avenant «Bonjour Monsieur !». Je pose mes BD sur le comptoir. Elle a dû repérer mon manque d'émotion car elle me cueille d'entrée : «Vous avez la carte Fnac ?». Je réponds «Oui, euh non, en fait…». Ça sent l'embrouille jusque dans mes bafouillis. Je sors mon portefeuille. Elle insiste : «Regardez, avec ce que vous achetez aujourd'hui, elle serait déjà remboursée !». Notez le conditionnel : je l'ai quasiment presque déjà. Je ne sais quoi répondre, à part «Non !» ou le «Je t'emmerde !» qui me pend au bout de la langue, mais ça ne serait pas très poli et ça aggraverait mon cas.
Thomas
Alors je reste muet
et j'enfile mes BD dans le sac marron siglé. Elle a dû faire un stage pour client récalcitrant, avec jeu de rôle et tutti quanti. Avec son chef dans le rôle du client revêche. Mais moi aussi j'ai suivi une formation pointue de résistance à la caissière entreprenante. J'ai même fait un stage commando où la caissière frottait lentement ma carte bleue soi-disant démagnétisée sur sa poitrine débordant de sa lingerie, en me sussurant «Il fait chaud, non ? Ça doit être pour ça qu'elle passe mal». J'avais tenu bon, c'est pour vous dire...
Ne pas flancher ! Comme les mineurs chiliens. Faire mon code, prendre le ticket qu'on me tend du bout des doigts, l'air dégoûté devant une telle
Fourche
muflerie. Ramasser mon sac tout penaud, partir sous le regard réprobateur des clients soudain moins émus qu'avec le numéro du sale gosse de tout à l'heure. Quitter les lieux en courant car ça tourne mal. La révolte gronde devant une telle ignominie. Clients et employés m'en veulent à mort et commencent à me balancer leurs bouquins et leurs DVD même pas encore payés. On sort les torches et les fourches. Ils arrivent de tous les côtés, font tomber les caisses et renversent l'étalage à papier cadeau. La caissière hurle «Sécurité !». C'est l'hallali. Je suis foutu.
Quel con, aussi ! 20 balles au mouflet, tout à l'heure, et je sauvais ma peau. Je vais crever à coups de talon et de best-sellers, tel un Kadhafi coincé dans les embouteillages de la rue de Rennes. Mon massacre sera filmé par les Iphone et les Galaxy des badauds. Plus tard, le gamin aux 20 centimes se passera les extraits en boucle sur son écran plasma flambant neuf... Soudain, ma fille me secoue : «Ben quoi, tu rêves, papa ! T'as payé on s'en va!»


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