On dit que les deux François pourraient cheminer vers une entente cordiale au
second tour de la prochaine élection présidentielle. Mais est-ce bien vrai ?
Imaginez François Hollande et François
Bayrou l’un à côté de l’autre dans une conférence de presse annonçant l’alliance historique entre
socialistes et centristes pour la constitution du futur gouvernement. Une rupture de quarante années d’union de
la gauche initiée par François Mitterrand et Georges Marchais !
L’image est un peu surréaliste car le Parti socialiste est toujours resté, jusqu’à maintenant, avec ses
propres réflexes identitaires très marqués par cette "discipline républicaine" qui veut qu’il vaut mieux faire élire un communiste qu’un centriste, discipline élargie par Lionel Jospin au parti
écologiste, même si localement, comme à Lille ou à Grenoble, il y a eu quelques alliances d’opportunités avec le MoDem.
Des ouvertures déjà anciennes
Du côté de François Hollande, cette idée n’est pourtant pas nouvelle. En avril 2009, François Hollande, sur
les pas de Ségolène Royal et de Pierre Moscovici qui est devenu son directeur de campagne, avait tendu la
main au MoDem pour envisager une telle alliance.
Le 16 octobre 2011, le tout nouveau candidat socialiste avait encore rappelé l’intérêt de rassembler au-delà
de la gauche, jusqu’à ceux qui, n’étant plus à droite, n’étaient pas encore à gauche, faisant allusion au MoDem.
Un matraquage pas vraiment innocent
Déterminé à annoncer sa candidature à l’élection présidentielle avant Noël, Hervé Morin est beaucoup plus affirmatif car il ne cesse de répéter dans la presse qu’en effet, « voter Bayrou, c’est voter Hollande ». On imagine sans peine ce qui le guide : montrer qu’il serait le seul candidat qui refuserait les
simplicités démagogiques de l’UMP mais en même temps, qui ne serait pas de gauche, quitte à reléguer dans cette catégorie tout ceux qui pourraient lui faire de l’ombre (comme son ancien
mentor).
On imagine aussi que l’opération visant à phagocyter les centristes est un peu trop grosse pour être sincère.
Qu’en est-il vraiment ?
Proximité entre les deux François
François Hollande, « c’est quelqu’un pour lequel j’ai de l’estime » a avancé François
Bayrou.
Dans une interview au journal "Le Monde" daté du 21 octobre 2011, François Hollande est resté volontairement nuancé. Il confirme une certaine
proximité personnelle : « Ce n’est pas un secret que j’ai de bonnes relations avec François Hollande. ». Le 19 octobre 2011 sur Canal
Plus, il parlait même de « très bonnes relations depuis longtemps » en ajoutant : « Si
c’était les vraies idées de François Hollande, je n’ai pas de doute qu’il y ait des points de rencontre. ».
Et ce n’est pas un hasard. François Bayrou avait placé comme priorité dans sa campagne de 2007 la réduction des déficits publics, thème devenu majeur aujourd’hui par le contexte international.
François Hollande avait lui aussi insisté sur cet enjeu au début de sa démarche solitaire en 2009 et 2010.
Depuis quelques années, les deux hommes se rencontrent régulièrement, la dernière rencontre a même dû avoir
lieu en septembre.
Le problème, c’est que la situation de François Hollande est devenue aujourd’hui très problématique : en
disant qu’il s’engageait à appliquer le programme du PS, il a considérablement réduit sa capacité de rassembler jusqu’au centre.
Un programme socialiste insoutenable
Pour François Bayrou, c’est un véritable stopper : « [François Hollande] est engagé avec son parti dans un programme insoutenable pour la France. In-sou-te-nable ! Je vous le dis en détachant les syllabes.
On ne fera pas 300 000 emplois jeunes sur fonds publics. On ne fera pas des recrutements de dizaine de
milliers de fonctionnaires. On ne fera pas le retour à la retraite à 60 ans. On ne fera pas une allocation générale pour tous les étudiants. Tout cela additionné est une illusion meurtrière
pour le pays. C’est un mensonge public. ».
"Mensonge public", l’expression est très forte. François Bayrou décrit un candidat qui est intrinsèquement "bien" mais prisonnier de ses camarades
socialistes : « Au fond de lui-même, je suis sûr qu’il n’est pas très éloigné de cette pensée [celle de dire la vérité et de ne pas faire de
nouvelles dépenses]. Mais les socialistes ont décidé d’une stratégie de séduction tous azimuts. Avoir fait voter 2,5 millions de personnes pour un programme qui ne sera pas appliqué, c’est pour
moi une situation de malaise démocratique. ».
En cela, François Bayrou n’est pas éloigné du tout du concert de critiques formulées par l’UMP depuis le 18 octobre 2011. Mais il place l’UMP un peu
dans le même sac que le PS : « La gauche est dans l’illusion quand elle dit : "Nous allons augmenter les impôts et cela nous permettra de
faire de nouvelles dépenses publiques". La droite raconte des histoires quand elle dit : "Nous allons baisser la dépense publique sans augmenter les impôts". » car pour le
président du MoDem, il faudrait faire les deux : réduire la dépense publique par des économies d’une cinquantaine de milliards d’euros et augmenter les impôts : « Je suis pour la création de deux nouvelles tranches de l’impôt sur le revenu : il faut relever à 45% celle qui est actuellement à 41% et en créer une à
50%. Il faudra peigner les niches fiscales d’une vingtaine de milliards d’euros et il faudra une augmentation de la TVA de 2 points. ».
Faire cohabiter communistes et centristes ?
Parallèlement à l’aspect démagogique du programme socialiste, François Bayrou a pointé également une réelle ambiguïté sur la volonté complètement
surréaliste de François Hollande à vouloir créer un rassemblement allant du MoDem à la gauche anti-capitaliste de type Front de gauche (communiste).
François Bayrou a été définitif sur ce point-là : « J’admets volontiers que monsieur Hollande est
de la [famille réformiste]. Mais une telle majorité qui engloberait les uns et les autres est impossible durablement. ». D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon lui a donné raison puisque ce dernier a toujours récusé toute alliance avec lui, le considérant
même comme un suppôt de la droite.
Ni gauche, ni droite… ou à gauche et à droite ?
François Bayrou a raison de vouloir l’autonomie. Il est convaincu que la situation financière de l’Europe est telle qu’un gouvernement soutenu par une
large partie de la classe politique serait un passage obligé pour prendre des décisions très difficiles (économie budgétaire et augmentation des prélèvements obligatoires).
Il a été très clair sur cette perspective : « Les événements vont imposer, quel que soit le
vainqueur de la présidentielle, une majorité dans laquelle les réformistes de gauche, du centre et de la droite républicaine devront assumer ensemble la responsabilité du pouvoir. Aucune des deux
majorités traditionnelles ne peut respecter le contrat que la nécessité imposera. La droite est sous la pression de la droite extrême, ou "populaire", qui flirte avec des thèmes europhobes et anti-immigrés, et la gauche est sous la pression des démondialisateurs. Avec d’étranges recouvrements entre les deux radicalités. ».
En 2012, qui pourrait le mieux rassembler ce « courant central du pays » sinon François Bayrou lui-même ? Il est l’un des quatre candidats susceptibles d’être présents au second tour et
l’un des trois susceptibles d’être élus, mais le seul à n’être l’otage d’aucun extrémisme.
François Bayrou votera-t-il pour François Hollande ?
La réponse est évidente : il votera pour lui-même !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (21 octobre
2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Une élection très
incertaine.
François
Bayrou, le rassembleur.
François Hollande, le vainqueur de la primaire.
Pour qui roule Hervé Morin ?
Jean-Louis Borloo renonce.