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Un sens à tout ça

Par Deathpoe

Finalement, ce n'est pas tant que je n'y comprenne rien mais peut-être qu'il n'y a tout simplement rien à comprendre. Ma génération a été élevée dans l'opulence de Barbie et de Macdo. Fight Club est à chaque coin de rue, les éveils de conscience en moi. Inutile de cracher sur ce système, j'en fais maintenant partie intégrante, et plus que jamais. Filles en minijupes alors que la température externe est de 3°C, filles à gros cul en pantalon. Il m'est à la fois impossible de mépriser l'Homme et de l'aimer de manière inconditionnelle. Je ne peux que formater à chaque instant l'indifférence et prendre le maximum de distance possible. Voilà la première phrase que je devrais sortir à mon psychiatre demain. Voilà, c'est ça, juste en débarquant dans le bureau, juste en enlevant ma veste, sans m'être assis: "Tout ça n'a pas de sens. L'accepter est peut-être la solution, enfin, celle qui me convient. Et vos conseils quant à trouver du sens à travers l'autre, merci, j'ai donné, on passe à autre chose maintenant."
J'avais ouvert un oeil à peine cinq minutes avant le début de mon premier cours. Le temps d'enfiler mes fringues et d'avaler deux cafés. Couche de brouillard dans laquelle se noie la fumée de ma cigarette. Mieux vaut aller à la bibliothèque universitaire plutôt que de se pointer en retard. Là encore, des gens qui discutent: hâte que les vacances arrivent, problèmes de couple, tel prof est un connard, regarde le nouveau sac que je me suis acheté. Et j'en passe. L'horizon est invisible, et je suppose que tout cela a vraisemblablement un sens, un but. Impossible de vraiment croire que tout ça n'est que de la poussière, un décor coloré en attendant la fin. Pourtant, tout ça ne pourrait effectivement qu'être une énorme machination. En jetant mon gobelet de café dans la poubelle je croise mon reflet dans les vitres-miroirs: une main dans la poche, le corps élancé vers le ciel et, le plus étonnant, un sourire serein.
"Ce que je regrette surtout, c'est le champ des possibles qui s'était ouvert d'un coup. Après, je n'ai aucun remords, je ne peux pas continuer à regarder mon passé et à considérer que je ne suis que cela, et rien de plus.
-Qui es-tu alors?
-Je ne sais pas, est-ce que ça a de l'importance, tous comptes faits? Les gens passent leur temps à se définir en tant que travail, style de vie, argent. Chacun son truc, je suppose.
-Et toi?
-Rien de particulier. Les multiples décisions que j'ai prises ces derniers mois n'ont pas réellement de sens, je ne fais qu'agir en pensant au court terme. La plupart du temps, ça me convient très bien.
-Je suis content de tes efforts depuis ton dernier débordement. Pour tout te dire, j'avais peur que tu te sentes abandonné, et que cela n'empire les choses.
-Voyons, je suis le premier à dire que je puis être un connard fini. Seulement, je sais aussi écouter ce qu'on a à me dire, du moment que c'est fait sans condescendance abjecte, qu'il y ait une possibilité d'échange, sans rapport de force.
-Tu es conscient que tu instaures souvent toi-même ce rapport de force? Par exemple tout à l'heure, en venant te chercher dans la salle d'attente, j'ai senti que tu n'allais pas bien et j'ai eu la crainte que tu n'engages le combat directement.
-Et finalement non, vous voyez.
-C'est exact.
-Je suis imprévisible, capable du meilleur comme du pire. Je ne sais pas si c'est vraiment une qualité mais enfin.
-Ce qu'il y a de frappant chez toi, c'est que tu peux être merveilleusement touchant. On a envie de tout te donner, et l'on sent que tu as aussi énormément à donner aux autres mais...
-Laissez moi deviner. Je tiens trop à ma liberté et dès que je me sens envahi je parviens à mettre les autres à distance par tous les moyens possible.
-Voilà. Et je dirai qu'il y a aussi chez toi cette obsession de s'améliorer, de se dépasser, et ta façon de mettre les autres à l'épreuve le montre bien.
-Peut-être. Mais après, je ne demande rien aux autres que je ne serai en mesure de faire, ou d'endurer moi-même. Je ne cherche pas la compréhension. Disons que chaque jour constitue une étape, disons euh, d'une certaine évolution.
-Certainement. Mais il y a aussi ce côté, pour utiliser une image, si Dieu est plus fort que tout est-ce que Dieu peut se dépasser lui-même, tu comprends?
-Je crois oui. Après, quelle importance?
-Et bien simplement, comment considères-tu tes rapports aux autres maintenant?
-J'ai éloigné les personnes qui ne m'apportaient plus rien, et à qui je n'avais, moi non plus, plus rien à apporter. Et puis, j'ai besoin de quelqu'un qui puisse soit me suivre, soit parvenir à m'imposer des limites.
-Les autres seraient donc incapables de t'aider?
-Ce n'est pas ça. Simplement, avec le temps et du recul, je parviens maintenant à apprécier les reproches et, disons, ce que je considère comme des trahisons amicales. Je suis évidemment en grande partie responsable de mes relations, amicales, familiales ou amoureuses, parfois désastreuses, mais je n'oublie pas pour autant à quel point j'ai pu m'impliquer dans celles-ci, souvent sans réel retour. Toujours savoir quoi dire, se donner pour simplement "être là". Enfin merde, que ce soit par le passé ou plus particulièrement ces derniers mois, je me suis en grande partie démerdé tout seul pour sortir du trou.
-De la rancoeur?
-Parfois, assez rarement. Maintenant, je n'irradie peut-être pas de bonheur, mais je sais au moins que les rares personnes qui m'entourent, je serai prêt à tout donner pour elles. Je n'attends aucun retour particulier, mais je sais qu'elles sont capables d'écoute, de conseil, sans jugement, sans égoïsme. Un collègue de boulot par exemple, avec qui je m'entends très bien, et qui a toujours un mot gentil, très intéressant et plein de vie. Ou mon meilleur ami, qui malgré l'impuissance qu'il peut ressentir à cause de la distance, n'en demeure pas moins très proche. Le fameux lundi où j'ai appelé ma mère complètement ivre pour qu'elle m'interne, je l'ai ensuite appelé et lui en ai foutu plein la gueule. Le surlendemain tout était réglé. Non, vraiment, je ne regrette rien."


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