J’ai récemment visionné le film-documentaire « Too big to fail » de Curtis Hanson et tiré du livre de Andrew Ross Sorkin. Voici mes commentaires.
Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec
Le générique du début commence bien mal, c’est-à-dire en indiquant à tort que la dérèglementation du système bancaire (sic) est à la source de la crise financière. Comme je l’expliquais ici, au moment de la crise, l’industrie financière n’avait jamais été autant règlementée. La seule exception est le Glass-Steagall Act, qui empêchait les banques commerciales de fusionner avec des banques d’investissement, qui fut éliminé en 1999. Est-ce que cette loi aurait pu empêcher les fiascos de Bear Stearns, Lehman Brothers et Merrill-Lynch, qui sont au cœur du documentaire? Absolument pas!
Premièrement, même avant l’abolition de cette loi, les banques d’investissement étaient déjà autorisées à commercer et à détenir les actifs financiers au centre de la crise financière tels que les titres basés sur des prêts hypothécaires (RMBS, CMBS), les Credit Default Swaps (CDS) et les Collateral Debt Obligations (CDO).
Deuxièmement, très peu de sociétés financières ont décidé de combiner les activités d’investissement et les activités de banque commerciale, ce que permettait l’abolition de Glass-Steagall. Les deux banques d’investissement dont la déroute symbolise la crise financière, soit Bear Stearns et Lehman Brothers, n’étaient affiliées à aucune institution de dépôt. Au contraire, si Bear Stearns ou Lehman Brothers avait eu une source importante de dépôts assurés, elles auraient probablement survécu à leurs problèmes de liquidité de court terme. En outre, les grandes banques qui combinent des activités d’investissement et des activités commerciales ont traversé la crise en meilleure santé que les autres.
La loi Gramm-Leach-Bliley (qui abolissait Glass-Steagall) en elle-même n’a eu que peu d’impact sur les activités de trading des banques d’investissement. Les activités hors-bilan de Bear Stearns et Lehman étaient autorisées avant l’adoption de la loi. Je ne comprends donc pas pourquoi beaucoup de « pseudo-experts » du système financier s’acharnent sur ce point; c’est ridicule.
Les choses deviennent plus intéressantes par la suite, alors que ce même générique montre des discours de Georges W. Bush vantant les mérites de l’accession à la propriété. Dommage que le documentaire n’ait pas été plus en détails et ne parle pas de ces politiques gouvernementales qui ont littéralement créé l’industrie des hypothèques subprimes et contribué à gonfler la bulle immobilière (Fannie/Freddie, CRA, HUB, etc, voir ceci).
L’histoire commence par tourner autour de Dick Fuld, alors PDG de Lehman. Ce dernier harcèle les politiciens (Paulson et Geithner notamment) pour obtenir de l’aide. On constate rapidement à quel point le système était infesté par le risque moral. Les interventions multiples du gouvernement dans le passé, notamment durant la crise des « savings-and-loans » en 1991, ont engendré une anticipation néfaste que l’État se porterait infailliblement au secours des grandes institutions. Ce risque moral induit par les politiques du gouvernement est une cause fondamentale de la crise. Il est important de noter que suite à ce que le gouvernement ait aidé JP Morgan à acquérir Bear Stearns, Dick Fuld s’attendait au même traitement de faveur. Il a donc agi de façon laxiste et commis beaucoup d’erreurs, comme celle de refuser l’offre de Warren Buffet. Fuld aurait peut-être aussi été moins exigeant envers les Coréens s’il avait été convaincu que le gouvernement ne viendrait pas à son secours.
D’ailleurs, il est fascinant de constater à quel point les politiciens ont été profondément impliqués dans les événements. Cela est troublant lorsque l’on entend à tort et à travers que les États-Unis sont un des pays les plus capitalistes. Pour ma part, s’il y a une chose que ce film fait bien c’est de démontrer ce qu’est le « capitalisme de copinage ».
Durant la première moitié du film, on sent que Paulson est déterminé à ne pas utiliser de fonds publics pour renflouer les banques. Il met tout en œuvre pour organiser une solution « privée » à la crise, de façon à préserver les apparences d’un système de libre-capitalisme. Une fois le deal entre Merrill et Bank of America scellé et les chances d’une transaction entre Barclays et Lehman anéanties, Paulson se résigne donc à laisser faillir Lehman Brothers. C’était effectivement la bonne chose à faire, mais est-ce que Paulson était prêt à faire face à la musique et à assister une profonde purge du système bancaire américain? Il s’est avéré que non!
La faillite de Lehman a pesé sur l’accélérateur du broyeur à déchet de la crise financière. C’est que beaucoup d’institutions avaient des relations d’affaires avec Lehman et cette entreprise avait des engagements envers eux. Ensuite, les investisseurs ont retirés leurs billes des autres banques d’investissement, craignant qu’elles ne subissent le même sort que Lehman. Cela a eu un impact déflationniste et mis un stress supplémentaire sur le système.
Lorsqu’il s’est avéré que l’assureur AIG était en situation critique, ayant assuré un grand nombre de mauvaises créances hypothécaires adossées, les politiciens ont paniqué. Le gouvernement a alors nationalisé Fannie Mae et Freddie Mac, qui ont joué un rôle central dans la formation de cette crise, puis il a pris une grande participation dans AIG. Paulson a ensuite convaincu les banques d’accepter des fonds gouvernementaux dans le cadre du TARP, qu’elles en aient de besoin ou non (pour ne pas que celles qui en ont vraiment de besoin ne soient identifiables, minant leur crédibilité).
Lorsque la conseillère en communications de Paulson lui demande pourquoi ils n’ont pas régulé l’exposition d’AIG et des assureurs « monolignes » aux CDS, la réponse de ce dernier (dans le film) est que « c’était bien trop payant ». La réalité est que les régulateurs sont contaminés par ceux qu’ils régulent et ne sont pas assez compétents pour comprendre ce qu’il se passe. Néanmoins, ils confèrent aux clients de ces institutions un faux sentiment de sécurité et contribuent au risque moral dans le système. C’est pourquoi la règlementation n’est pas la solution.
À noter que Bernanke a convaincu les politiciens d’accepter le TARP en leur brandissant le spectre de la Grande Dépression de 1929, qui fut aussi marquée par une crise du crédit. Cependant, lorsque l’on sait que la déflation du boum de crédit est une étape nécessaire au processus de rémission, on comprend que cet argument n’est pas valide.
La cause la plus fondamentale de la crise financière, soit le système bancaire à réserves fractionnaires et la création de monnaie ex nihilo par la banque centrale, n’est qu’effleurée dans une scène où Paulson se confie à son épouse dans sa cour arrière, alors qu’il souffre d’insomnie. Si ma mémoire est bonne, Paulson mentionne :
Aucune banque au monde n’a suffisamment d’argent pour rembourser tous ses déposants. Tout le système n’est basé que sur la confiance.
Le réalisateur n’a malheureusement pas élaboré sur ce point, ignorant probablement que toutes les crises financières sont causées par les réserves fractionnaires. Paulson explique ensuite à sa femme ce qu’il craint qu’il arrive s’il ne fait rien :
…dans les deux semaines qui suivraient, il n’y aurait plus de lait sur les tablettes des épiceries.
En quoi est-ce que des faillites de grandes banques d’investissement pourraient-elles faire en sorte qu’il n’y ait plus de lait dans les épiceries? L’inventaire de l’épicier ou du grossiste était-il financé à crédit par du papier commercial dont personne ne voulait? Ceux-ci auraient fini par financer leurs inventaires à l’aide de leur flux monétaires d’opération, ce qui serait nettement plus sain que d’utiliser le crédit.
Ceci étant dit, si c’est un « credit crunch » que Paulson craignait, le TARP n’a pas réussi à l’éviter. Selon le sondage de la Federal Reserve, de moins en moins de banques ont augmenté la sévérité de leurs critères d’octroi de prêts suite au bailout (voir premier graphique ci-bas). Cependant, cela ne signifie pas qu’ils aient abaissé ces critères et ouvert les vannes du crédit pour autant. D’ailleurs, ceux-ci étaient probablement très élevés à l’époque. Ils n’ont cependant pas tant augmenté comme l’affirme l’épilogue du film (sauf pour les subprimes évidemment).
Néanmoins, c’est véritablement suite à l’annonce du TARP (octobre 2008) que le crunch s’est produit (voir le second graphique ci-bas). Certains disent que c’est parce que les banques ne voulaient pas prêter, ayant un problème de capital, alors que d’autres affirment que les banques ne pouvaient pas prêter car il n’y avait pas suffisamment de demande pour le crédit. C’est un peu des deux. En fait, ce que les banques ont fait avec l’argent du TARP a été tout simplement de stationner les fonds dans leur compte à la Federal Reserve sous forme de bonds du Trésor (le troisième graphique ci-bas montre les réserves excédentaires des banques à la Fed).
Donc le sauvetage n’a pas réussi à éviter le crunch de crédit et il n’a pas réussi à stabiliser le marché immobilier. Ce qu’il aura réussi à faire par contre aura été de 1) permettre à AIG de rembourser les $13 milliard qu’elle devait à Goldman Sachs, l’ancien employeur de Paulson, 2) rendre les grandes banques encore plus grosses qu’elles ne l’étaient déjà alors que Wells Fargo a acheté Wachovia et que BofA a acheté Merrill, pendant que les petites banques ont fait faillite par centaines, 3) engendrer encore plus de risque moral, que les régulateurs tentent de minimiser en augmentant le niveau de règlementation, ce qui est voué à l’échec.
La facture cinématographique du film est bonne, les acteurs sont fort ressemblants aux personnages réels, mais les dialogues sont parfois ridicules et caricaturaux (on tente de faire paraître les banquiers trop arrogants et cupides; ils le sont, certes, mais peut-être pas à ce point). Je recommande le film à tous ceux qui s’intéressent à cette fameuse crise, mais je vous mets en garde à l’égard du fait qu’il comporte de sérieuses lacunes.
Conclusion :
Est-ce que la dérèglementation est responsable de la crise? Non!
Quelles sont ses causes alors?
– Les politiques gouvernementales favorisant l’accession à la propriété.
– Une politique monétaire trop expansionniste par la Federal Reserve.
– Le système bancaire à réserves fractionnaires.
– Le risque moral induit par l’intervention étatique.
Est-ce que le TARP était nécessaire? Non!
A-t-il permis d’éviter un crunch de crédit? Non!
A-t-il eu des effets pervers? Oui, plusieurs.
Est-ce que l’économie en a bénéficié? Pas vraiment. Le marché immobilier continue de se dépérir, le chômage demeure élevé et les États-Unis sont en train de devenir une économie de zombies contrôlés par le gouvernement (voir ce qui est arrivé au Japon depuis 20 ans).
Qu’aurait-on dû faire alors? Rien! Laisser le système se nettoyer de lui-même en le purgeant de ces grandes banques mal gérées et de tout ce crédit inflationniste. Le choc aurait été brutal, mais la rémission serait venue plus rapidement, aurait été plus brève et durable.
En lecture complémentaire, voir ceci et ceci.
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