Inde : les bureaucrates se prennent pour Steve Jobs

Publié le 21 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

Par Swaminathan S. Anklesaria Aiyar (*)
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

L’État indien a lancé une tablette low-cost appelée Aakash (« ciel ») destinée à être vendue aux élèves du secondaire pour seulement 35 dollars. Le Aakash, qui a été conçu par DataWind, une société détenue par un indo-canadien, est le résultat d’un appel d’offres de l’État concernant une tablette bon marché. Le coût de la tablette est de 46 dollars, et l’État subventionne la différence de 11 dollars. Le Ministre de l’Éducation, Kapil Sibal, clame que cela mettra l’informatique bon marché à la portée des couches populaires.

Il faut pourtant raison garder. L’Inde a lancé plusieurs initiatives ultra-bon marché, comme la voiture Nano du groupe Tata qui se vend pour moins de 3000 dollars, mais cela ne signifie pas que chacune d’elle va réussir. Et cela s’avère particulièrement risqué si c’est l’État qui choisit « les gagnants et les perdants », comme dans le cas de Aakash.

Ensuite, le bon marché ne garantit pas toujours d’avoir des clients. La célèbre Tata Nano, dévoilée en 2009, a jusqu’ici déçu. Pourtant, nombreux au sein de l’État se sont émerveillés devant la fanfare entourant certains projets du secteur privé comme la Nano, et ont ainsi souhaité les reproduire dans le secteur public, poussés par la conviction que les indiens se préoccupent principalement du prix, car un tiers d’entre eux vivent avec moins de 1 dollar par jour. Mais comme tous les consommateurs, les indiens se préoccupent non pas du prix, mais de la valeur.

M. Sibal semble ici oublier la folie passée de l’État lui-même. En 2005, New Delhi a lancé un ordinateur à 200 dollars, Mobilis, basé sur le système d’exploitation libre, Linux. Avant cela, en 2002, l’État avait salué d’un ordinateur portatif appelé le « Simputer », dont le coût de 240 dollars fut considéré comme une percée majeure. Les deux ont été un échec. Alors que les politiciens étaient occupés à penser à subventionner les produits plus anciens, l’industrie informatique avait elle-même innové pour pousser les prix du marché vers le bas.

Le plus grand problème est que certains indiens pensent que ces tablettes sont la technologie de l’avenir. Cette vision reflète en partie le « glamour » d’Apple en occident, mais aussi la conviction que des revenus faibles, un faible niveau d’alphabétisation et de graves pénuries d’électricité en Inde rendront l’usage de gros ordinateurs personnels difficile. Mais aucune tablette lancée par le secteur privé indien, à des prix allant de 99 à 265 dollars, n’a su capter l’attention du public. Une des raisons est la concurrence des téléphones portables.

La probabilité que ces entreprises privées se rendent compte de leur erreur et corrigent le tir est bien sûr élevée. Mais l’État, encore une fois consommé par l’hubris, a investi au moins 5 millions de dollars dans un produit discutable qui n’a pas fait ses preuves. Cela signifie que des fonds provenant des contribuables, qui ne devraient pas payer des impôts pour soutenir les penchants au capital-risque de l’État indien, qui risque de partir en fumée.

Aakash peut s’avérer un échec parce que, d’abord, les ordinateurs de deuxième main sont disponibles à très bas prix. Une deuxième raison, sans doute plus importante, est l’accroissement phénoménal des téléphones cellulaires, qui peuvent faire toujours plus de choses que les ordinateurs et les tablettes proposent.

Un téléphone cellulaire de base indien ne coûte que 15 dollars, beaucoup moins cher que l’Aakash. En fait, le coût du téléphone cellulaire est seulement légèrement plus élevé que la subvention de l’État à l’Aakash, et les appels sont de seulement deux cents la minute. Les téléphones cellulaires peuvent être chargés sur des batteries électriques dans les zones rurales avec peu ou pas d’électricité. Le Aakash, en revanche, auront un supplément de coût dans le cas d’une connexion sans fil. À ce niveau de coût, les personnes les plus susceptibles d’acheter les Aakash sont les indiens les mieux lotis, manifestement pas ceux à qui la subvention est destinée.

Cette amplifie les risques du projet Aakash, sans parler des gaspillages probables et de la corruption qui accompagne généralement les initiatives d’État comme celle-ci. Elle pourra s’avérer sans intérêt à un moment où les applications de téléphone portable se multiplient à un coût beaucoup plus bas. En promouvant cette tablette, l’État fait un pari qui pourrait bien mal finir.

Au lieu de cela, les politiques de l’État indien devraient se concentrer sur la qualité institutionnelle du pays, offrir un maximum de flexibilité aux entrepreneurs, et laisser ensuite ces derniers sur le marché trouver ce qui convient le mieux aux consommateurs. Les bureaucrates pourraient croire qu’ils savent où se loge la demande future, mais ils ne sont pas Steve Jobs.

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(*) Swaminathan Aiyar est un économiste indien, analyste au Cato Institute à Washington DC