Par Hong Kong Fou-Fou
Il y a des noms qui sonnent mieux que d'autres. Pourquoi croyez-vous que je signe mes articles sous le pseudo Hong Kong Fou-Fou ? Parce que j'ai peur que tous les gros beaufs dont je me moque inlassablement me mettent la tête au carré ? Certes, j'avoue ma lâcheté. Mais c'est aussi parce que j'ai un nom d'une affligeante banalité, indigne de la flamboyance de Fury Magazine. Saul Bass, par contre, est un nom qui m'a toujours plu. Sobre, efficace, incisif. Comme le style graphique de celui qui le portait.
Le petit Bass (le Basset ?) devait faire des gribouillages dans les marges de ses cahiers à l'école. Comme Guy Degrenne. Des collages, aussi. Et il n'a jamais arrêté. Pfff, moi j'ai été vraiment bête d'y copier des polynômes ou des logarithmes, voilà où ça m'a mené. Après des études d'art et de design, il est devenu dessinateur publicitaire. Puis il a réalisé des affiches de films, avant d'en concevoir les génériques. C'est bien simple, avant lui, ces génériques n'étaient qu'une longue litanie de noms sans aucun intérêt, dont le spectateur attendait patiemment la fin en suçant son esquimau ou en pelotant sa petite amie. Saul Bass en a fait des films dans le film, des chefs-d'oeuvre graphiques et colorés qui, associés au jazz angoissant de compositeurs comme Bernard Hermann ou Jerry Goldsmith, plongeaient immédiatement le spectateur dans l'ambiance. Saul Bass, les petites amies ne lui disent pas merci.
Saul Bass a travaillé avec les plus grands de l'industrie cinématographique : Otto Preminger, Stanley Kubrick, Hitchcock, Scorcese. Que des noms qui claquent, z'avez remarqué ? Initialement, son style s'appuyait essentiellement sur l'utilisation de formes géométriques découpées. Ses ciseaux étaient aussi aiguisés que le couteau de Norman Bates dans "Psychose", film pour lequel il a également contribué à la mythique scène de la douche.
Puis il s'est diversifié, avec des photographies comme dans "Spartacus" ou du dessin animé ("Un monde fou, fou, fou,
fou"). Le très réussi générique de "Grand Prix", qui montre les préparatifs avant le départ d'un... grand prix, merci de suivre, à base d'images démultipliées, c'est lui aussi.
Il a dessiné les logos de plusieurs compagnies aériennes (Continental Airlines en 1968, United Airlines en 1973) et autres grosses sociétés comme Minolta ou Warner. Celui de Quaker Oats, aussi. Quand j'étais gamin, je prenais du Saul Bass au petit-déjeuner, et je ne le savais même pas. Il a illustré des livres pour enfants, des timbres, des pochettes d'allumettes, il a dessiné des stations service pour Esso ou Exxon, etc.
Il a également réalisé plusieurs courts métrages et même, en 1974, un film de science-fiction, Phase IV, assez curieusement affublé d'une affiche ignoble, dont on ne voudrait même pas pour illustrer un disque d'Iron Maiden. Quand on dit que ce sont les cordonniers les plus mal chaussés...
Comme tous les génies, il a fortement inspiré ses successeurs. On peut citer l'affiche de "Clockers" de Spike Lee, celle
de "The Informant !" de Steven Soderbergh, "Burn after reading" des frères Coen, le générique de "Attrape-moi si tu peux" de Spielberg ou celui de "Kiss kiss bang bang" de Shane Black. Et on
trouve sur Internet une multitude de travaux réalisés par des fans qui s'inspirent du style du maître (celui-là par exemple : http://www.youtube.com/watch?v=z25t-PQDn5A). Essayez la recherche "Saul Bass style", vous verrez. Ce qui est gênant, c'est que pour le copier,
tous ses suiveurs (sa Bass-cour, quoi) doivent utiliser des logiciels professionnels et de puissants ordinateurs. Assez symptomatique de notre époque qui innove à reculons...
Décédé en 1996, ce prolifique créateur qui ressemblait à un croisement subtil de Marcel Zanini et de Gilbert Montagné (il n'est pas si mal, mon nom, après tout), a laissé le sien à la récompense décernée chaque année au meilleur générique de film. Alors chapeau, Bass !