Lorsque la mort de Marie Dedieu fut confirmée, et considérant les faits ainsi que les circonstances, le ministre des Affaires Etrangères et Européennes, M. Juppé tint, mercredi 19 octobre, ces propos :
« C’est (…) un acte d’une barbarie, d’une violence, d’une brutalité, inqualifiables. Donc nous le condamnons avec la plus grande fermeté »
Et ça, c’est quoi ?
N’est-ce pas, là itou, un acte barbare ?
N’est-ce pas juste insupportable, inacceptable ?
Mais qui le dit ? Qui s’en émeut ? Qui est venu dire que cela était « inqualifiable » ? Qui est venu condamner cet acte barbare « avec la plus grande fermeté » ?
Oh, pardon, il s’agit, non d’un otage, mais de Mouammar Kadhafi. Dont on ne sait plus quel qualificatif il convient de lui adjoindre : dictateur, fou, terroriste (repenti), mégalomane, brute sanguinaire, que sais-je encore.
Mais que nous reçûmes, en grande pompe, en décembre 2007, à l’occasion, de surcroît, du 59ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Oh pardon, encore, nous sommes en guerre, or donc, tout est permis, n’est-ce pas ?
Même cela.
La barbarie.
Mais qui sommes-nous ? Et que sommes-nous venus faire en Libye ? Ne sommes-nous pas la civilisation, je veux dire les garants d’un monde civilisé ? N’avons-nous pas, de fait, à cet égard, des responsabilités à assumer, l'idée (au moins, cela) d’un monde à défendre, celui qui se réclame de justice, d’équité, de démocratie ?
Qu’est-ce que ce film, sinon l’exécution, pure et simple, d’un homme ? Une négation de ce que l’on nomme : monde civilisé.
Avec, je le précise, la participation active de l’Otan. C’est cette force qui a tiré sur le convoi. Ensuite, de ce qui pouvait survenir, elle s’en est lavé les mains. C’est bien ça, n’est-ce pas ?
Et peu compte, là, à ce moment, qui était cet homme ; peu importe oui, ce qu’il a fait, ce qu’il commit.
A ce propos, dans les commentaires fort nombreux qui émaillèrent cette « exécution », j’entendis, sur une chaîne d’informations en boucle, celui-ci :
« Le procès d’Eichmann permit d’en apprendre beaucoup sur la Shoah ».
Mais là qu’apprendrons-nous désormais ? Que nous reste-t-il ? Avons-nous pensé, une seule seconde, à toutes celles et tous ceux, qui ne souhaitaient qu’une chose : justice, ou un peu de vérité, quelques explications.
Que nous reste-t-il, sinon cela, un acte barbare, insupportable ?
Et puis d’abord, qui sont-ils, ces gens que nous soutenons, qui tirent en l’air comme des crétins, dès qu’ils prennent possession d’un quartier ? Qui sont-ils ces gens qui lynchent, qui se comportent, c’est sur le film, ça crève les yeux, comme des barbares ?
Qui les dénonce ? Qui les condamne ? Qui les réprouve ?
Alors ça n’aura pas suffi, n’est-ce pas, Saddam Hussein, pendu, images largement diffusées, le jour-même de l’Aïd. Comme une insulte. Oh oui, certes, là, au moins, auparavant, il y eut, paraît-il, procès. Je précise bien : « paraît-il ». Car, pour qui s’en souvient, ce fut une gigantesque parodie.
N’aura pas suffi, non plus, l’exécution d’Oussama Ben Laden et sa rocambolesque immersion.
Alors, ça continue, jamais nous n’arrêterons les conneries, les humiliations, les assassinats ?
Mais bon sang, quand on se prétend être les représentants du monde civilisé, on ne tolère pas cela. Mieux : on prévient, pour l’empêcher. Et ce, quel que soit l’homme. Qu’il fût Eichmann ou Gaddafi. Oui, quel que soit le bourreau qu’il fût, une salope intégrale même, on ne permet pas cela. En cas contraire, et ça l’est, autant dire, de suite, alors, que oui, nous sommes pour la peine de mort, nous les gens civilisés, représentants, paraît-il, d’un monde libre. Juste. Hérauts de la démocratie.
Au minimum, au moins, on condamne. Sinon, ne nous prétendons plus « civilisés ».
Ah, nous ne sommes, au fond, que des barbares comme les autres.
Des enfoirés.
Drapés sous l’alibi de : démocratie.
Nous ne valons pas mieux que ces crétins armés jusqu’aux dents. Ces lyncheurs à la petite semaine. Ces résistants de la dernière heure. Assoiffés de sang, de vengeance. Combattant non pour la Liberté, mais au seul nom de la Loi du Talion. Des aveugles, des sourds, des barbares. Que nous armons. Pour commettre, à notre place, l’insupportable. Et signifier ensuite, par notre silence, cette non-condamnation de l’acte barbare : « Ce n’est pas nous ».
Bien sûr que si, c’est nous.
Bien sûr que si, nous sommes coupables.
Bien sûr que si, nous sommes des barbares.
Et plus que jamais, le monde entier le sait.