d'après Maupassant

Publié le 20 octobre 2011 par Dubruel

LA VEILLÉE

 

Cette femme dont la vie

Fut irréprochable.

Était morte sans agonie.

On sentait

L’âme douce et admirable

Que ce corps avait abrité

Elle reposait dans son lit,

Les traits calmes, ses cheveux gris

Soigneusement peignés,

La physionomie reposée.

À genoux, près du lit,

Son fils, un magistrat sophiste

Et sa fille Eulalie,

En religion sœur Évariste

Pleuraient éperdument.

Lui accusait les faibles, les pauvres gens.

Elle, avait épousé Dieu par dégoût des hommes.

Tous deux, secoués comme

Par une tempête de douleur, haletaient,

Sanglotaient.

Leur crise se calma lentement.

Ils pleuraient plus mollement

Telle l’accalmie qui suit un ouragan.

Soudain la religieuse dit à son frère :

-Tu te souviens que maman

Aimait relire ses vieilles lettres.

Elles sont toutes là, dans son tiroir.

Si nous les lisions, nous pourrions revoir

Toute sa vie.

Ils prirent les paquets jaunis,

En choisirent un et commencèrent :

« Mon adorée si chère,

Je t’aime par-dessus tout.

Depuis hier, je souffre comme un fou

Hanté par ton souvenir, ma Lucienne.

Je sens tes lèvres sous les miennes,

Tes yeux sous mes yeux, ta chair

Sous ma chair.

Je t’aime !

Je t’aime !

Mes bras s’élancent

Vers toi, avec le désir immense

De t’avoir encore.

Tout mon corps

T’appelle, te veut.

J’ai dans ma bouche le goût

De tes baisers de feu… »

Le magistrat lut jusqu’au bout,

Chercha la signature. Il n’y en avait pas

Mais seulement : « Celui qui t’adore »

Et un nom : « Victor ».

Leur père s’appelait Louis.

Ce n’était donc pas lui.


Le fils prit un autre billet. Il lisait :


« Je ne puis me passer de tes baisers… »

Alors il ferma les rideaux du lit

Et brûla ces tendres plis.