Giorgio Bassani : un écrivain et ses hantises
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l'odeur du foin
L’Odeur du foin, de Giorgio Bassani (paru en Italie en 1972), est une œuvre marquée par une discontinuité narrative ininterrompue, qui suscite de fréquentes sensations d’étrangeté. L’entreprise la plus ardue pour le lecteur consiste à ne pas se laisser emporter passivement par les aventures narrées dans les douze récits qui composent ce livre. L’auteur s’est montré très habile dans le choix des titres et dans la mise en place des différentes narrations, accroissant sans cesse le démantèlement logique et textuel. Ferrare est le lieu récurrent de l’action. La ville émilienne où l’écrivain, né à Bologne en 1916, a passé sa jeunesse jusqu’en 1943 est présentée comme un microcosme dont il n’est pas sorti. Les aventures sont étroitement liées aux événements historiques qui ont influé sur la vie du narrateur. La période fasciste et les tares du régime représentent une cible constante des critiques de Bassani, même si l’objectif principal de ses invectives touche les membres de la société bourgeoise et en particulier de la bourgeoisie juive, dont il faisait partie. Bassani n’a pas pardonné les choix politiques déplorables de ces derniers (de son père, entre autres), leur adhésion au Parti national fasciste, qui édicta les lois raciales de 1938. Il a tenu à décrire l’influence de ces mesures infâmes sur la vie des individus. Dans trois nouvelles, qui ont pour héros un juif de Ferrare, émergent le dégoût et la désolation qui ont envahi et avili l’existence d’un jeune homme privé de liberté. L’auteur est parfois intervenu comme acteur principal de plusieurs récits. Il a choisi de révéler son incompréhension à l’égard de son père et de sa femme, sans se montrer hostile, mais en manifestant la mélancolie et la déception qui ont forgé son caractère. Il a aussi fait allusion à son rôle comme antifasciste militant, adhérent du Parti d’action, tentant de contribuer à la fondation d’une société démocratique et débarrassée de toute forme de discrimination raciale.
Dans la dernière nouvelle, Bassani dévoile des réflexions intimes sur son métier d’écrivain et sur la genèse compliquée de certaines de ses œuvres. Ici apparaît l’importance, pour sa poétique, de la dialectique entre la réalité de la chronique et la force imaginative du narrateur. C’est justement ce qui lui permet de faire fusionner les éléments contingents avec une dimension onirique. Le résultat de cette opération n’a pas entraîné la rédaction de nouvelles de fantaisie et sans fondement, mais a attribué une universalité aux événements quotidiens, ce qui est à ses yeux l’un des buts primordiaux de la littérature.
L’Odeur du foin, de Giorgio Bassani, traduit de l’italien par Michel Arnaud, « L’imaginaire », Gallimard, 114 pages, 6.50 euros.
Leonardo Arrighi