"Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles" de Zeina ABIRACHED est une bande dessinée biographie. Une bande -dessinée reportage comme je les aime.
Elle retrace une nuit dans la ville de Beyrouth en 1984, en pleine guerre civile. Zeina, enfant avec son petit frère, attend le retour de ses parents partis rendre visite à la grand-mère à deux pâtés de maisons.
Dans cet espace clos, l'appartement, et sous les bombardements, vont se succéder les voisins et les différents chemins pour faire avec la guerre.
Une grande part est offerte à l'espace. Le quartier est un plan, un parcours à faire pour rentrer sans encombre, une géométrie du risque, une chorégraphie de survie. Ce sont des détails de guerre, de l'espace réduit, de l'espace découpé, du blanc. C'est aussi des commerces, des maisons, des secteurs et des communautés, chrétiennes, musulmanes et juives. L'appartement est plus qu'un espace de vie. Il est culturel et il devient surtout sécuritaire... un espace dans l'espace... l'entrée et la tapisserie au mur comme lien et constance familiale.
© Zeina ABIRACHED/ Cambourakis
La guerre est présente partout. Dans cette obligation de huis clos, dans les communications (le téléphone est son "khatt" (tonalité) à attendre, la radio), dans les questions rester ou partir, dans le ravitaillement, le choix des cadeaux (alcool et légumes déjà lavés), dans ce discours sur la ville (comme une nostalgie de l'autre partie), dans les jeux de distinctions auditives des bombes, dans le tic tac de l'attente d'un être cher parti sous les bombes. Ce lustre aussi, épée de Damoclès et aussi témoin sonore.
Mais c'est surtout de vie qu'est remplie l'entrée. De ces voisins bien vivants aux prises avec la guerre mais aussi leurs envies, leurs souvenirs, leurs liens d'amitié. Ce sont des portraits tendres. Anhala la femme aux services d'une famille jusqu'à connaître 4 générations (en attendant la 5ième). Chucri travailleur et bénévol aux services de l'immeuble. Ernest le coquet ancien professeur de français survivant de son frère jumeau. Mr KHALED et sa femme, anciens restaurateurs ayant fui leur quartier. Farah et Ramzi, jeunes actifs restés sur la touche par la guerre, vivant sans un bureau.
Et puis il y a les enfants, la narratrice et son frère: ils jouent, entre impatience, angoisse et presque insouciance dans cette entrée où ils sont "quand même, peut-être, plus ou moins, en sécurité [là]".
Quel superbe moment que cette préparation du sfouf avec Anhala, que cette absence quand il faut l'enfourner... dans la cuisine. De quoi me donner envie de refaire un sfouf, une envie partagée d'ailleurs aussi par d'autres.
Quel autre magnifique preuve de vie que ce mariage, festin même en temps de guerre, préparé comme si de rien n'était, vécu en courant, en riant, en chantant... avec joie et inconscience.
Les graphismes en noir et blanc rappellent ceux de Marjane SATRAPI. Mais ici les personnages restent de face. Un seul profil est là comme une parenthèse lyrique et culturelle, un nez, celui de Cyrano de Bergerac.
Les formes géométriques, la stylisation des détails, le rendu des hommes en aplats de formes et les fonds noirs rendent l'atmosphère pesante: les hommes sont presque des ornementations, tout est lenteur, attente.
Quelle belle transmission de vie, de mémoire.