On se plaint parfois du fait que la France manque de grands symboles historiques ou de figures emblématiques capables d’unir les Français par delà leurs divisions. Pourtant dans l’histoire moderne, il y a un homme qui transcende les partis et les querelles idéologiques et cet homme, c’est le marquis de La Fayette.
Un article de Damien Theillier, publié originellement sur 24hGold
Le marquis de La Fayette fut la clé de voûte de deux événements immenses à la fin du XVIIIe siècle : l’indépendance des États-Unis et la Révolution française. Voltaire l’appelle « Le défenseur de la cause grande et juste de la liberté des peuples ». Madame de Staël lui écrit un jour de Rome : « J’espèrerai toujours de la race humaine, tant que vous existerez ! »
1° La Révolution américaine
Sans La Fayette, la révolution américaine aurait échoué. « A dix-neuf ans, je me suis consacré à la liberté des hommes et à la destruction du despotisme (…). Je suis parti pour le Nouveau Monde, contrarié par tous et aidé par aucun ».
Il est capitaine à seulement 19 ans, lorsque treize colonies britanniques en Amérique du Nord proclament leur indépendance. Après sa rencontre avec Benjamin Franklin à Versailles, comprenant le péril auquel les Américains étaient confrontés, il décide de rejoindre l’armée américaine. Louis XVI lui interdit de quitter la France pour l’Amérique et ordonne son arrestation. La Fayette s’évade en se déguisant et achète une frégate dans laquelle il s’embarque avec onze compagnons. Il offre alors au Congrès d’entrer dans l’armée comme officier sans se faire payer, sacrifiant une partie de sa fortune. Le Congrès acquiesce, attendant l’approbation de George Washington. Après la démonstration de son courage exceptionnel et de son professionnalisme au combat, il obtient le rang de général-major dans l’armée américaine.
En 1779, George Washington l’envoie en France pour demander de l’aide financière et surtout logistique de la part de Louis XVI. Ce dernier hésite mais La Fayette le persuade d’engager la France militairement. De retour en 1780, il est nommé par Washington commandant des troupes de Virginie. Il gagne la bataille de Yorktown et regagne la France en 1782 ou il est accueilli avec enthousiasme à la Cour.
2° La première Révolution française
Ensuite, il a été l’acteur décisif de la libéralisation de la monarchie, première phase de la Révolution française, avant la Terreur. Car il y a deux Révolutions bien distinctes et même contradictoires, puisque La Fayette fut pour l’une et contre l’autre : la révolution libérale de La Fayette (1789) et la révolution jacobine de Robespierre (1793), qui conduisit à la formation de l’État totalitaire.
En 1787, La Fayette prend un siège à l’Assemblée française des Notables et demande que le roi convoque les États-Généraux, devenant ainsi l’un des chefs de file de la Révolution française. Élu aux États-Généraux, il devient vice-président de l’Assemblée nationale, le 11 Juillet 1789 et présente à l’Assemblée un projet de Déclaration des Droits de l’Homme, inspiré de la Déclaration d’indépendance de 1776. Six jours plus tard, La Fayette est fait général en chef de la Garde nationale de Paris.
Il formule deux grands principes de gouvernement, inspirés de son ami Washington : « le pouvoir militaire doit être soumis au pouvoir civil » et « on doit séparer l’Eglise et le gouvernement ».
À 30 ans, le 14 juillet 1790, La Fayette est à son apogée. Il a obtenu la ratification de la Constitution par Louis XVI et il invite tous les Français à se rassembler au Champ-de-Mars pour une grande fête nationale appelée Fête de la Fédération. On ne le sait souvent pas mais la fête nationale française commémore le 14 juillet 1790. La Fayette, voulait que cette commémoration du 14 juillet soit une fête de l’unité de tous les Français. Une proposition acceptée par l’Assemblée. Ainsi, le 14 juillet n’est pas d’abord la date de la prise de la Bastille mais celle de la Fête de la Fédération et donc de la monarchie constitutionnelle.
En tête du défilé des délégations se trouve Thomas Paine, l’ami de La Fayette et l’auteur du livre qui a déclenché la révolution des colonies américaines : Le Sens Commun.
Madame de Staël écrit en juillet 1790 :
« Des femmes de premier rang se joignirent à la multitude des travailleurs volontaires qui venaient concourir aux préparatifs de cette fête. En face de la Seine qui borde le Champ-de-Mars, on avait placé des jardins avec une tente pour servir d’abri au roi, à la reine et à toute la cour. On voyait à l’autre extrémité un autel préparé pour la messe que M. de Talleyrand alors évêque d’Autun, célébra dans cette grand circonstance. M. de La Fayette s’approcha de ce même autel pour y jurer fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi ; et le serment et l’homme qui le prononçait firent naître un grand sentiment de confiance. Les spectateurs étaient dans l’ivresse ; le Roi et la liberté leur paraissaient alors complètement réunis. »
À ce moment-là, La Fayette considère que la révolution est terminée.
Mais le 20 avril 1792, l’Assemblée législative déclare la guerre à l’Autriche. La Fayette est appelé au commandement de l’armée française. Pendant ce temps, les sans-culottes prennent le pouvoir à Paris. Danton et Robespierre l’attaquent avec violence et réclament sa tête. Le 19 août, il est convoqué devant le tribunal révolutionnaire. Le 20 août, il prend le chemin de l’exil et se réfugie en Belgique. Quelque temps plus tard, il est arrêté par les Autrichiens, jugé comme un chef militaire ennemi et jeté dans un cachot à Olmütz, malgré les protestations du général Washington et les tentatives de Madame de Staël pour le libérer. Il n’en sortira qu’au bout de cinq ans, grâce à la paix de Campo Formio, délivré par les victoires de Bonaparte.
3° La Fayette et Bonaparte
Les deux hommes ne s’aiment pas particulièrement. En 1799, La Fayette est interdit de séjour à Paris par Napoléon Bonaparte qui redoute sa popularité. La Fayette se retire dans sa maison de campagne, un château nommé La Grange, en Seine et Marne. Il y reste quinze ans, s’enfermant dans un silence hostile, dans une opposition muette, comme « la conscience de la France » selon ses propres dires. Il enseigne l’anglais à ses enfants et La Grange devient le lieu de rendez-vous de tous les Américains en France.
Dans le choix de cette retraite agricole, il y a le constant souci du marquis d’imiter Washington dans sa retraite de Mount-Vernon. Son fils s’appelle George Washington de La Fayette, sa fille Virginie, en souvenir du général. Il entretient une correspondance suivie avec Jefferson, alors président des États-Unis avant de se retirer à Monticello. Ils dissertent de politique, d’amitié et de jardinage.
Pendant se temps, Bonaparte décime la France avec ses conquêtes pour asservir l’Europe, avant de tomber à Waterloo. Aux yeux de La Fayette, Bonaparte était le champion de la seconde révolution. Il a commencé sa carrière en s’opposant à ceux qui voulaient reprendre la grande tradition de 1789 et fonder en France un État représentatif. Il a supprimé tout droit d’opposition et détruit les libertés politiques qui en sont la condition essentielle.
En 1812, Napoléon disait de La Fayette :
« Tout le monde en France est corrigé ; un seul ne l’est pas, c’est La Fayette. Il n’a jamais reculé d’une ligne. Vous le voyez tranquille ; eh bien, je vous dis, moi, qu’il est tout prêt à recommencer. »
Pour mieux le museler, Napoléon lui offre d’être ambassadeur de France aux États-Unis. La Fayette refuse, il est déjà citoyen américain, il ne veut pas être diplomate auprès des autorités de son propre pays. Il répond « le silence de ma retraite est le maximum de ma déférence ». Lors du référendum sur l’institution du consulat à vie, La Fayette vote « non », avec une infime minorité de Français (9000 sur plus de 3,5 millions de « oui »)
4° Retour en Amérique
En 1818, à 61 ans, La Fayette recommence. Il est élu député de la Sarthe, siégeant dans l’opposition libérale avec son ami Benjamin Constant. En 1824, il n’est pas réélu. Il décide alors de tout lâcher et s’embarque pour l’Amérique. Il y est invité par le président James Monroe. Il est reçu comme un chef d’État. Mieux, comme le héros de l’Amérique. C’est l’apothéose. Toute l’Amérique se lève pour lui faire accueil. Il va y rester presque deux ans, parcourant 24 États, revisitant tous les lieux de sa jeunesse dans une tournée triomphale. Un corps d’armée spécial, les « Gardes La Fayette » est créé pour l’accompagner. Le Congrès lui vote une dotation de 200 000 dollars ainsi qu’un lopin de terre.
Lors de la révolution de 1830, il se rallie à la maison d’Orléans en soutenant Louis-Philippe. C’est lui qui le décore de la cocarde tricolore et lui remet le drapeau bleu-blanc-rouge. Mais il est vite déçu par le personnage. Pendant les dernières années de sa longue vie, il se bat pour l’indépendance de la Pologne, de la Belgique et de l’Irlande.
La Fayette s’est toujours décrit lui-même comme un « disciple de l’école américaine ». Toute sa vie, il s’est fortement impliqué dans le combat pour la liberté : la tolérance religieuse, l’émancipation des esclaves, la liberté de la presse, l’abolition des titres de noblesse, et la suppression des ordres.
Comme tous les libéraux de l’époque, il a du se battre sur deux fronts à la fois : celui de la gauche progressiste et révolutionnaire d’une part et celui de la droite réactionnaire et contre-révolutionnaire d’autre part. Soutenant l’idée d’une monarchie constitutionnelle, il était détesté tant des partisans d’une république que des tenants de l’absolutisme. Par suite, son opposition au régime personnel de Napoléon lui attira les foudres des bonapartistes. Enfin, les républicains modérés de la IIIe République n’avaient que du mépris vis-à-vis d’un homme qui ne souhaitait pas la disparition de la monarchie. Pour Clemenceau par exemple, la République était un bloc. Pour La Fayette, il fallait sauver la révolution des Droits de l’homme et oublier la révolution jacobine de 1793.
Dans une lettre à Lettre à M. D’Hennings, il écrit :
« La doctrine que je professe a été définie en peu de mots dans mes discours et mes écrits, confirmée dans tous les temps par ma conduite, et suffisamment distinguée par la haine et les excès révolutionnaires et contre-révolutionnaires de tous les oppresseurs du genre humain »
Le marquis meurt à Paris en 1834, il est enterré au cimetière de Picpus. Le général Pershing, commandant des troupes américaines, participera d’ailleurs le 4 juillet 1917 à une cérémonie sur sa tombe. Plusieurs discours furent prononcés sur la tombe de La Fayette, dont celui du colonel Charles Stanton qui lança la phrase historique : « La Fayette, we are here ».