Un article de Jérémie Rostan, publié sur le blog du Québéquois Libre
Il faut laisser la Grèce non seulement cesser de rembourser sa dette, mais faire faillite. Certes, la conséquence en serait, outre le choc terrible pour cette nation, une aggravation de la situation des autres pays très endettés du sud de l’Europe. Devant un tel précédent, les marchés ne leur prêteraient, en effet, plus qu’à des taux très élevés, tenant compte de lourdes primes de risque. D’où un risque d’effet domino, dit-on.
Paradoxalement, la probabilité serait alors plus grande que ces pays jettent l’éponge devant leur surendettement. D’où la nécessité de sauver la Grèce «à tout prix»? Non. Si la tragédie grecque devait faire s’effondrer ces autres châteaux de cartes fiscaux, eh bien il faudrait laisser faire, là encore.
D’une part, parce que l’argument inverse semble plus pertinent. Le spectre du dégât grec offrirait en effet aux gouvernements concernés une opportunité inespérée de faire avaler à leurs populations l’amère médecine requise. D’autre part, parce que l’alternative – subventionner la Grèce et adoucir sa chute – ne pourra avoir que de pires conséquences encore.
Quelle incitation les plus mauvais élèves de cette classe de cancres qu’est la zone euro auraient-ils en effet, dans ce cas, à faire quelque effort que ce soit? Pourquoi prendraient-ils le risque de graves troubles sociaux et politiques, alors qu’il leur suffit de s’en remettre au Messie franco-allemand?
Mais, dans ce cas, le mal serait bien plus terrible encore. Subventionner la Grèce coûtera cher. Pour la France, par exemple, plus cher même que le total de l’exposition des banques françaises à ces créances pourries – qu’elle leur remboursera sans aucun doute aussi, de toute façon. Et bien plus encore si cette première intervention en induit d’autres. Mais ce serait alors le coeur même de l’Europe qui verrait ses lignes de crédit se raréfier, et une crise se profiler.
Étant donnée l’importance du commerce transatlantique et la condition préoccupante de l’économie américaine, on peut à peine imaginer les répercussions à l’échelle mondiale, en particulier jusqu’en Chine, que l’on croyait le moteur de la croissance planétaire, mais qui pourrait bien s’avérer une vaste contrefaçon…À tout prendre, donc, des faillites en cascade le long de la Méditerranée semblent un moindre mal et une contagion tout à fait limitée. Plus encore si l’abandon de la Grèce fait office de rappel à l’ordre et à la réalité, évidemment.Quelle est finalement la leçon à tirer de toute cette histoire, qui est finalement celle de l’après-guerre, de l’économie mixte et de l’État-providence? Elle est si simple, on aurait dû la voir d’emblée, comme certains l’ont fait.
La vérité est qu’il n’est simplement pas possible de subventionner la protection sociale des classes moyennes. La redistribution peut bien financer un système d’assistance, c’est-à-dire un filet de sécurité, des minima en dernier recours, mais non pas un système d’assurance, c’est-à-dire des droits généralisés. Les classes moyennes doivent payer elles-mêmes – c’est-à-dire épargner – pour se prémunir contre la maladie, le chômage, ou encore la vieillesse. Et cela que ce soit par le biais d’un marché, ou bien d’un monopole public. «Taxer les riches», comme plusieurs le voudrait, est illusoire.
Aux États-Unis, par exemple, la seule protection sociale engloutit déjà 100% des recettes fiscales, et cela alors que le pire est à venir. Pour combler le déficit généré par le reste des dépenses publiques, il faudrait se résoudre à imposer à des taux confiscatoires jusqu’aux 25% des plus riches. C’est-à-dire recourir au suicide économique, qui n’est jamais un très bon moyen de se financer. Certes, le recours à l’endettement ne l’est pas non plus. On le voit aujourd’hui, comme on aurait dû le prévoir hier.
Le plus triste, évidemment, est qu’un système de protection sociale viable offrirait de meilleurs services, à des prix moins élevés, aux classes moyennes. Qui plus est, l’épargne de ces dernières financerait alors la croissance, au lieu d’être stérilement confisquée. La seule différence, en fait, est qu’un monopole public et le recourt à l’endettement permettent aux politiciens de faire de la protection sociale une marchandise électorale; et aux populations de croire au doux rêve socialiste de vivre, chacun, aux dépens de tous les autres.
—Sur le web