Le phénomène est désormais classique, mis en évidence notamment pour les nombreuses adaptations presque simultanées de la Guerre des Boutons, plusieurs albums de bandes dessinées et livres illustrés sortent en même temps sur le 17 octobre 1961.
Ainsi le roman policier engagé de Didier Daeninckx, Meurtres pour Mémoire paru en 1984 a été illustré par Jeanne Puchol en 1991. Dix ans après, il fait l’objet d’une très belle réédition chez Futuropolis dans un format plus grand et une nouvelle maquette, « dans une bichromie très proche de la tonalité gris chaud du lavis d'encre de Chine des originaux », selon Jeanne Puchol. Il permet de visualiser cette dénonciation de la répression policière contre la manifestation algérienne. Ce polar est une double enquête sur deux meurtres par l'inspecteur Cadin. D’une part, l’exécution sommaire de Roger Thiraud, un jeune professeur d’histoire, alors qu’il croise l’un des cortèges du 17 octobre 1961 sur les Grands Boulevards. D’autre part, l’homicide de son fils à Toulouse vingt ans après ce « dommage collatéral » de la répression. Pour résoudre ces deux affaires, le policier devra se plonger dans quarante années d’histoire dont la France n’est pas fière…
Didier Daenincks réitère avec cette fois un album grand public centré sur ce même moment. Rendant hommage à Fatima Bédar, tuée pendant la manifestation et à tous les anonymes victimes de cette répression aveugle, il signe le scénario d’un album Octobre noir, une fiction autour d’un jeune chanteur de rock confronté à cette journée meurtrière. L’album préfacé par Benjamin Stora et complété par une annexe établie par Jean-Luc Einaudi de centaines de personnes disparues ces jours-là, constitue un très efficace exercice de mémoire et de questionnement. D’origine algérienne et de son vrai nom Mohand, Vincent est l’un des piliers du jeune groupe Les Gold Star qui doit participer à un concours tremplin à l'Olympia ce 17 octobre 1961. Mais son père exige qu’il participe à la manifestation. S’il cherche à s’éclipser, sa sœur Khelloudja, jeune militante, n’y est pas invitée et passe outre l’interdiction. Mais elle ne rentre pas le soir… En la recherchant, le jeune homme va découvrir le drame auquel il a échappé en se produisant sur scène. Ce récit poignant et sans concession réussit à resituer l’enchainement des faits. Sa mise en couleurs dans des tons rouges et noirs amplifie le dessin réaliste de Mako.
En Algérie, La Cagoule, une bande dessinée de 9 pages sur les évènements du 17 octobre 1961 est parue dans le quotidien El Watan. Elle est signée par le scénariste et journaliste d’investigations français Albert Drandov et le jeune dessinateur espagnol Alberto Jimenez Alburquerque (à gauche). Après la dénonciation des scandales de l’amiante dans Amiante, Chroniques d’un crime social édité par 7ème choc et des essais nucléaires dans La Bombe paru chez Delcourt), Albert Drandov (à droite) s’est emparé de ce sujet qui le révolte. Après avoir longtemps cherché un dessinateur pour mettre son récit en images, il a trouvé à Barcelone où il organise un festival, son complice pour cette histoire courte mais forte. Après s’être largement documenté auprès de sources multiples, il s’est notamment appuyé sur le témoignage de Khaled Benaïssa. Edité en France chez Paquet (Les Fugitifs de l’ombre) ou Soleil en héroïc fantasy, le dessinateur espagnol a donné vie aux neuf planches avec un dessin semi-réaliste très documenté, et plus noir qu’à son habitude, montrant la tragédie au travers les yeux d’un enfant.
Photos Albert Drandov et Alberto Jimenez Alburquerque à Alger en 2010 et 2011 au FIBDA Alger © Manuel F. Picaud