Octobre Rose

Publié le 20 octobre 2011 par Gentlemanw

Je me suis levé ce matin, un jour comme un autre, dans une vie de femme, dans ma vie de femme. Je suis bouleversé depuis hier, moi si pragmatique, si habitué à tout contrôler, je sens mes jambes se dérober sous moi, ma robe devient trop ample, je me sens vide, incorporelle dans mes propres formes, car il y a lui et moi maintenant.

Pourtant je devrais le savoir, depuis que jeune fille j'ai choisi de prendre le chemin de la médecine, de longues études, de passionnantes soirées à avaler des chapitres de l'anatomie, de rhumatologie, de biologies diverses et variées, de traumatologies, de maladies d'ici ou d'ailleurs. J'ai potassé, j'ai fléchi plus rarement, j'ai toujours aimé ses moments où mon père passait dans ma chambre de bonne, qu'il avait transformé en chambre de princesse , certes taille réduite, mais rose et glamour, avec d'ingénieux miroirs pour ouvrir l'espace. Il passait donc en cachette, pour remplir le frigo de mes plats préférés, de petits gâteaux au chocolat, en laissant un livre plus délicat que les miens sur mon oreiller, un message d'amour parental. Oui j'aimé ces moments d'examens et de doutes, de folles envies de faire autre chose puis revenir à l'essentiel de mon avenir, non de ma vocation première. Oui j'ai toujours eu envie de soigner les autres, toujours de mes doudous à mes cousins, de mon chat à ma mamie.

J'aimais aussi la magie des photos, de la mode, mais comme un passe-temps, jusqu'au jour où j'ai compris que entre les pages roses, le monde beau et soyeux des belles robes, les gens mouraient, oui leur vie s'arrêtait là.

Un simple coup de fil, des larmes, et le chagrin à cacher face aux enfants, pour les protéger, pour trouver les mots pour leur dire que "Mamie était partie" et après des questions infantiles "qu'elle ne reviendrait pas de son voyage".

Un jour j'ai demandé "pourquoi ?", je n'ai pas eu de réponse de mes parents, eux en qui je croyais comme mes héros, ils n'avaient pas de réponses, un grand flou, une grande tristesse. Mamie, Papie qui était malade et à l'hôpital, qui souriait moins, qui ne voulait plus sortir trop loin, ils étaient malades. A force de ma cacher derrière mes livres, dans mon univers d'enfant, d'adoslescente et soudainement de jeune fille, j'ai entendu le mot "Cancer". Ils l'avait eu, ils avaite des amis qui l'avaient, un doute, des silences, des regrets envers ceux qui étaient parti à cause de cette maladie. Un mot lourd à prononcer, une frustration pour moi.

Mamie si élégante, avec ses perles, celles que j'avais eu pour mon entrée à médecine, était partie depuis si longtemps, je pensais à elle, chaque matin, en crapahutant sur les marches de St Joseph, vers mon service, celui de mes malades, celui de mon métier aujourd'hui, j'étais cancérologue, spécialisé sur ce monstre sourd, inhumain dans l'humain. Je recevais chaque jour des femmes, des hommes, pour leurs maux, souvent détectés un peu tard, octobre rose n'éxistait pas encore, la communication non plus. Et pourtant cette maladie était la première à tuer dans mon pays. Je devenais parfois chevalière en blanc, celui de ma blouse, pour me battre contre ce dragon, pour donner des sourires et des médicaments. Je recevais les familles, alarmés ou sages dans leurs questions, dans leur "pourquoi", nombreux et en souffrance à l'annonce. J'accompagnais au mieux, avec mon expérience et celles des infirmières, ces fées qui gardent un moral d'acier face à tant de détresse. Nous étions la légion face aux dragons, nous ne gagnions pas toujours.

Hier je suis allé dans une clinique, de l'autre côté de ma ville, je suis passé voir quelques collègues, mais je devenais patiente, celle qui donnait son sein droit, puis son sein gauche à une machine froide, au regard d'une amie, je connaissais la procédure, je connaissais mon corps. Je connaissais aussi mes nouvelles douleurs depuis quelques semaines.

Elle m'a emmené dans son bureau, elle a perdu son sourire, elle savait, moi aussi, mais par habitude, par refus de moi-même, pas ar ignorance, loin de là, mais par ce profond sentiment du "pas moi", je me l'étais refuser. Oui j'avais un cancer.

La ballerine chancelait sur son fauteuil, comme un tangage annoncé mais mal estimé, plus fort en soi qu'à l'extérieur. Violent comme la vague, le gris du ciel d'automne, comme un relent impossible à retenir, comme mes larmes, moi qui avait été si souvent face à elles. 

J'avais tant et souvent relancé le message sur l'importance du dépistage, sur ce message d'amour pour soi et pour les autres, pour les proches et pour les connaissances. Car je voyais souvent ce regard de l'absolu, celui que j'avais eu sur le "pas moi", et j'avais eu si souvent la charge de prononcer ces mots, des mots douloureux, d'annoncer la maladie même sir je parlais ensuite et toujours des soins, des traitements, de la précocité de la détection, d'un meilleur accompagnement, d'une rémission accessible. J'avais traité aussi des cas impossibles, des cas sans issue. J'avais vu tant de seins, de cancers ici ou là.

Mais aujourd'hui le mal était là, j'étais abattue, seule face à ma blouse, comment allais-je pouvoir remettre ma cuirasse de chevalier, de combattant en étant déjà blessée. Je ne trouvais pas la force, mais demain, je sais que mes collègues seraient là, ouvertes, compréhensives et professionnelles. J'aurai mes enfants, bouleversés probablement ce soir auprès de moi, des amies pour me prêter leurs épaules. 

Pour écouter, parfois en silence mes doutes, mes souffrances, mes espoirs.

Pour sécher mes larmes.

N'oubliez pas d'en parler à vos amies, vos proches

Dépister c'est sauver !

OCTOBRE ROSE

Montrez-moi ce sein, qu'il faut plus qu'apercevoir