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(à John B. Sebastian)
J'avais déjà choisi que je me ferais un hiver littéraire investi sur Dostoievski. Je n'avais jamais lu l'auteur russe. Par paresse je crois. La longueur des livres mais surtout la longueur des noms qui ont toujours au-dessus de 20 lettres. Étrangement ça m'épuisait de lire Sofia Semionvna Marmeladova ou Arkadi Ivanovitch Svidigraïlov.
Mais je savais que je passais à côté de quelque chose.
L'auteur existentialiste m'appelait tant que la lecture que je m'étais promis de ne commencer qu'en novembre, j'ai l'ai tout de suite entamée. Je ne sais trop pourquoi, la froideur soviétique peut-être, mais je me disais que je me devais de le lire en hiver. Je m'étais promis Crime & Châtiment en novembre (automne, je sais), L'Idiot en décembre, Les Possédés en janvier et Les Frères Karamazov en février/mars. Mais comme j'ai terminé mes livres précédents trop vite, j'ai tout de suite commencé le cycle Fyodor.
J'avais oublié que j'avais Crime & Châtiment en anglais dans ma bibliothèque. J'ai même découvert que j'avais aussi Le Joueur et Les Possédés depuis longtemps. On oublie parfois qu'on est riche. J'ai une édition de 1936 (!) du Joueur et une version de 1967 des Possédés (retitré Les Démons depuis). Lire Crime & Châtiment en anglais? why not? traduction pour traduction, le livre original était en russe et comme je maitrise parfaitement l'anglais et le french, pourquoi pas?
La version du livre de poche que je lis est de 1956. C'est un véritable trésor. Je le traine comme un ado ne se sépare pas de son Facebook. Il est minuscule alors les caractères le sont tout autant. Je porte donc mes lunettes, chose que je fais si rarement que mes enfants ignoraient que j'en avais (et qui plait beaucoup à ma douce qui trouve que je fais sérieux).
L'intrigue qui normalement se déploie sur 775 pages est ici serrée sur 415 pages. Les éditeurs doutaient tant que les gens croient que toute l'histoire ne s'y trouve pas qu'ils ont pris la peine d'écrire sur la couverture "complete and unabridged". Comique.
Le livre est si usé que la couverture menace très sérieusement de se détacher. La couverture (en titre de post) est merveilleusement ancienne. Brun tirant sur le doré, avec cet air croisé de mysticisme et de romantisme dans le dessin et le prix risible de 50 sous. Je crois d'ailleurs l'avoir payé quelque chose comme 10 sous toutefois dans une vente de débarras de bibliothèque où on payait au poids des livres qu'on prenait. La page 11 trahit que ce livre a déjà appartenu à la bibliothèque de l'île Bizard, endroit où je n'ai jamais foulé le sol (existe-t-il encore?). Comme l'indique la couverture, le livre est illustré. Au début de chaque nouvelle partie du livre se trouve un dessin des protagonistes de l'histoire tel qu'imaginés par Lynd Ward. Les pages sont joliement jaunies par le temps, la page 405-406 s'est d'ailleurs détachée et je dois à l'occasion la remettre à sa place. Les autres menacent tant de se décomposer que je me dois de tenir le livre comme un prêtre tiendrait sa petite bible usée ou un poète tiendrait à bout de bras sa récitation. Avec une délicatesse qui fait contrepoids au contenu de l'histoire. Le jaune des pages est tout à fait de circonstances dans le glauque récit de Dostoievski. La douleur psychologique de Rodion Romanovitch Raskolnikov est d'une intensité remarquable. Superbe livre présenté dans un emballage...emballant.
C'est mon petit grimoire sacré. Un vrai bijou.
Je défendrai la valeur de ce livre devant tous les tribunaux libraires.
Tout comme mon ami, John B. Sebastian a qui je dois ma famille. Sans ce bougre de bougre avec lequel j'ai passé une large partie de mon secondaire, de mon CEGEP et de ma jeunesse dorée, je n'aurais jamais rencontré la femme qui partage ma vie aujourd'hui. Comme pour lui rendre justice, il a fallu qu'il soit en ma compagnie, juste lui et moi, en train de brosser sous la pluie sur la galerie de l'appartement le soir où l'amoureuse nous as appris qu'elle était enceinte de notre fille il y a 9 ans.
Il pourra faire toutes le conneries imaginables dans sa vie je le défendrai toujours.
J'ai une dette vis-à-vis l'homme à lunettes.
Il a une valeur particulière chez le Jones D'Amérique.
John B. Sebastian tu es vieux, jaune et usé aujourd'hui.
Tu es le premier des soldats de Rochebelle à franchir le cap des 40 ans.
On sera bientôt deux douzaines à avoir franchi le cap du forty d'ici 8 mois.
Happy B-Day Modafucka!
Que Dieu te blesses, faux-frère.