Noel Gallagher’s High Flying Birds – Yeah I feel like a force tranquille

Publié le 20 octobre 2011 par Darksroker

“Tout le monde s’attend à ce que, pour son retour, un artiste fasse exploser un feu d’artifice. J’ai préféré vous taper doucement sur l’épaule, en murmurant : “Chut ! Ecoute ça.”"

« Nono ». Alors que les nuées de cygnes noirs qui se sont posés voici plusieurs années sur notre malheureux village global ont décidé de squatter pour un bon moment notre actualité économique, politique, sociale, culturelle et même métaphysique, il est bon de savoir que certaines choses ne changent pas. Comme une borne kilométrique sur le bord de l’infernale autoroute conduisant aux affres de la soupe FM, l’ex-compositeur d’Oasis garde un oeil bienveillant mais sévère sur un monde du rock qui n’en finit plus de chercher sa révolution. Dans l’hipsterocratie des années 2010, tout se décline en post-post-ismes. Paralysés par le génie des générations précédentes, d’aucuns tentent de dynamiter la maison des musiques pour voir quels misérables pâtés ils pourront démouler sur ses ruines. Très peu pour Nono. Les neutrinos peuvent dépasser la vitesse de la lumière, lui ne dépassera jamais la noire à 120. Tout peut foutre le camp, il suffira d’écouter le premier album solo du Chief pour revenir à la maison. Humer la fragrance du talent sur-distillé d’un monosourcil mancunien qui n’a jamais prétendu inventer l’eau chaude, mais vous offrira volontiers de temps à autre une lénifiante et inexplicablement sublime cuillère de gelée royale. Pester devant la maîtrise oisive d’un musicos qui veut bien sortir un album à 10 chansons, mais pas une de plus, histoire que vous réécoutiez bien chaque morceau jusqu’à ce que votre affect s’égalise. Nono. Monsieur Noel Gallagher.

En février, j’écrivais la critique d’un album crâneur au titre à l’image de son contenu : fumeux et vite oublié. Le frangin Liam Gallagher, avec son groupe Beady Eye, avait dégainé Different Gear, Still Speeding, sorte de musée Grévin du rockabilly dont les pièces d’exposition fondaient au premier coup d’oreille. Et l’on frémissait quand on comprenait que le produit de cet Oasis décapité était déjà celui d’une formation en sur-régime. A la brocante de la composition, je tâchais alors de me prendre d’affection pour des titres anecdotiques aux défauts apparents : Three Ring Circus, l’essayer c’est l’adopter. The Roller, je vous fais un prix. The Morning Son, vous vous imaginez pas le petit trésor que c’est. Seulement voilà, comme tout ce qu’on achète à la brocante, DGSS prend actuellement la poussière sur mon étagère. Qui sait où il se trouvera dans cinq ans.

Flou. Quand on pose les yeux sur la pochette de High Flying Birds, un doute peut nous assaillir. L’aspect nébuleux, faussement mystique et franchement moche de la jaquette dessine un troublant parallèle avec le laborieux Heathen Chemistry de 2002, où la plus curieuse des idées était passée par la tête d’Oasis : que la Gare de Lyon en contre-plongée, en flou dégueu et en noir au blanc, ça serait vachement stylé. Flou. Astigmate. Mal aux yeux. Une certaine première secrétaire nous a fait part de ces paroles sages la semaine dernière : « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ». Pourtant Noel Gallagher ne mordra pas la main que vous lui tendez, et n’aura finalement pas, ou si peu, de fautes de goût à vous infliger. En réalité, il pensait à se faire photographier sous l’éclairage d’une station-service qui donnait l’impression d’être sous un Concorde, d’où une fine allusion aux « High Flying Birds ». Ne riez pas, c’est certainement l’idée de pochette la plus logique qu’il ait pondue de toute sa carrière.

Derrière la pochette, il y a un disque, et correctement inséré dans un lecteur, il fait son petit effet. Comme j’ai pu le lire, remarque surprenante de pertinence dans la chronique jetable d’un certain journal gratuit, l’album va s’attacher tout spécialement à démontrer que Noel n’est pas responsable du psyché lambin et éreintant qui a tiré vers le bas la discographie d’Oasis. La dégradation d’un groupe qui ne faisait aucun cas de laisser trois, quatre morceaux-poubelles dans ses derniers disques en renvoyant à demi-mot l’auditeur vers de somptueuses démos de faces-B qui auraient mérité plutôt vingt fois qu’une le triple A de la tracklist officielle. Quand au début de l’année, Beady Eye se faisait un festin égoïste d’une interminable Wigwam de presque sept minutes, le compteur ne dépasse pas 5:30 pour la plus longue piste de l’album ici présent, Everybody’s On The Run, peut-être d’ailleurs l’une des moins inspirées du lot. Elle a pourtant la difficile tâche d’ouvrir cet album, mais prend un peu trop de temps à se regarder dans la glace pour séduire. Point commun à la fratrie, les échos avec décalage sensible font souvent office de patch pour compenser un ensemble tendant sur le vide. Comme s’il fallait se retourner derrière soi à chaque vocalise, regarder l’empreinte laissée pour se rassurer et déboucher vers un joli break qui se charge de sauver les meubles. Hormis l’impérial Definitely Maybe dont on ne palpera jamais vraiment la profondeur, le déchet reste partie constituante de la création noelienne. Il reste toujours, de temps à autre, ce refrain plat qui transforme la bouche bée laissée par un pont merveilleux en un rictus horizontal (If I Had A Gun). S’il n’a jamais vraiment été capable de nous façonner un joyau sans aspérités, Noel Gallagher peut néanmoins appeler à la rescousse son alter-ego du passé et ses tiroirs de trésors inédits.

Il y a quinze ans, dans un élan d’absurdité suprême, l’artiste laissait au placard le fabuleux Masterplan, le consignant en face-B quand une sortie single aurait mis au tapis les meilleurs hymnes surdosés de U2 ou de Coldplay. Tout à fait dans la même idée, écouter Record Machine, enfin sous une forme finie après des années de purgatoire du bootleg Youtube, suffit à faire percuter la différence de plusieurs degrés qui sépare la production du zozo solo des amigos de chez Beady Eye. Viendrait-il à l’idée de Liam, fanatique du rock « premier-jet », en réalité chantre du moindre effort, d’ajouter des violons ou d’implémenter des mélodies secondaires dans ses power-ballades ? Non. Chez Record Machine, on regrettera peut-être la disparition d’un chaud roulement de guitare basse qui faisait l’identité de la maquette, mais on se prendra allègrement dans la face un wall of sound dévastateur avec orchestre, pianos et chœurs adorablement over-the-top. Forcément, alors que le mur de son de Beady Eye consiste à simplement jouer plus fort, Noel sait renouveler l’oxygène à l’intérieur de sa musique. Tout au long de son disque, l’auteur va se faufiler, se dérober et saura toujours rattraper l’auditeur derrière un accord pour l’éblouir à nouveau d’une autre trouvaille mortellement accrocheuse. Certains qualifient ce type de chansons d’ « hymnes de stade ». Quel exemple plus triomphant que la bande-son du film des années 2000 Goal et son Who Put The Weight Of The World On My Shoulders, qui mettait en scène un footballeur en proie au doute ? Soit, mais W.P.T.W.O.T.W.O.M.S (‘culé, même en acronyme, c’est chiant à écrire) était avant tout une superbe chanson mélo et mélodique. Si un « hymne de stade » parvient à éveiller en vous cette souveraine inspiration qui transforme ce vague regard par la fenêtre en un acte héroïque, la chose est réussie et mérite le plus grand respect des petits malins.

Quand notre gars fait de la récup’ avec ses titres larger-than-life, il liquide aussi les légendes urbaines. En dernière piste, le serpent de mer Stop The Clocks jaillit enfin des profondeurs de la mythologie oasisienne. Trop bon pour être vrai, pas au point, promis comme le « meilleur morceau jamais composé » par son créateur, le fameux a fait l’objet d’une cruelle campagne de teasing à rallonge. Entendu dans des soundchecks, chantonné dans une version méconnaissable, donnant son foutu nom au best-of d’Oasis sans apparaître dedans, ou même présent en sample inaudible à la fin de Record Machine, Stop The Clocks semblait ne jamais vouloir sortir du bois. C’est maintenant chose faite, et inéluctablement, si l’ambiance engage à la rêverie, le résultat reste un chouïa décevant. Champagne Supernova reste droit dans ses bottes. Ce piano qui claque des accords, ponctuant les couplets comme le minutage d’une inconcevable explosion, ne débouche que sur un premier refrain qui a peur de griller les cartouches du deuxième, dépeignant en fin de compte un voyage bien sage que sa fin en rythme ternaire sur fond de cris d’animaux (? !) n’emballe qu’à la manière d’une blagounette. Liam peut tout de même enrager, car ce type de morceau qu’il était censé chanter à l’époque est maintenant totalement hors de sa portée sur le plan créatif et vocal. Ce qui peut inspirer la fine bouche à l’écoute de Noel déclencherait des cris d’extase si c’était Liam qui en était à l’origine.

Pourquoi donc ? Est-ce donc la voix moelleuse si caractéristique de Noel, ne tenant bien sûr pas la comparaison avec les pétulances cisaillantes de son frère en 1994 ? Ne nous méprenons pas, Noel chante très bien, dans les graves comme dans les aigus et les forts comme les faibles, mais le paradigme avait été très bien résumé par l’intéressé : « I sing better than Liam, but Liam is a better singer ». Du temps d’Oasis, on déterminait le chanteur des compos de Noel au vu de la mélodie et de l’ambiance. Liam, quant à lui, composait toujours pour sa pomme. De fait, Noel récupérait alors les musiques plus intimistes, les phrasés vocaux subtils et virevoltants, les pièces introspectives plutôt que le rock triomphant morve-au-nez du cadet. Cet album réussi, mais de bric et de broc, réunit donc des chansons purement noeliennes : on n’y trouvera pas le traditionnel tube-caution « je fais encore du rock » qui revenait toujours à Liam, mais par exemple les démos boudées des sessions de Standing On The Shoulders Of Giants, ce qui explique l’omniprésence de chœurs donnant parfois un air d’outre-tombe à l’ensemble. Mais on y débusquera surtout le déflagrateur single The Death Of You And Me, successeur spirituel de l’ovni de 2005 The Importance Of Being Idle, vibrant hommage au folk mid-tempo des Kinks. Noel livre ici un petit morceau de nirvana sans majuscule, un arrangement léché qui ne laisse aucune place au hasard. La batterie sautille méthodiquement dans ses cases de marelle, tandis que la basse, fût-elle simpliste, génère une onde de choc à chaque impact. A mi-chemin entre Tucson et Manchester, cette ambiance western indéfinissable et purement esthétique se met au service d’un titre qui vous sert le petit Jésus sur un plateau, et vous persuade irrésistiblement qu’on ne plaisante pas avec l’ultimerie absolue qu’est l’essence même du bonheur. Une fanfare se vautre lascivement à la moitié de la chanson ; alors que les cuivres s’époumonent, la musiquette agréable des couplets s’est métamorphosée en un refrain diablement sexy. The Death Of You And Me ne doit pas s’écouter en boucle, mais saura répondre présente tous les jours pour déraciner l’auditeur de la quelconque activité à laquelle il est en train de se livrer pour lui imposer une ode à l’intensité de la vie, du domaine de l’intérêt public. Comme un pied-de-nez (bien qu’on puisse trouver geste bien plus malpoli chez les Gallagher), ce premier single, chef-d’œuvre de l’album, affiche une piste de voix émaillée de petites imperfections. Le rapport de forces s’est inversé : quand Liam se voit forcé de trafiquer lourdement ses enregistrements pour sonner correctement en studio (I’m Outta Time en 2008 ne laissait aucun doute à ce sujet), Noel rappelle qu’il ne fait rien, ou si peu, de tout ça. Toujours ce fameux « chut, écoute ça ».

Noel Gallagher s’est même mis à écrire. Comprenez : écrire vraiment. Les textes ne révèlent pas le plus grand des paroliers, mais se décident enfin à raconter des histoires (Soldier Boys and Jesus Freaks), ou même à faire rire par leur ton ironique (Dream On). On ne se débarrasse pas comme ça du « surréalisme » aléatoire des chansons d’Oasis, où mettre des mots sur les notes était la pire corvée, mais l’auteur-compositeur frustré s’est enfin libéré du carcan des « shine », « mind », « fade away » qu’il s’imposait de caler par douzaines dans ses chansons pour mettre en valeur la voix de son frère. On s’aperçoit alors qu’il sait jouer sur d’autres leviers de musicalité. On redécouvre les consonnes, les allitérations, le jeu des émotions, du sarcasme au discours épicurien. Dans Dream On, il arrive à rendre joli « The kids outside, they drunk up all the lemonade, the bitch keeps bitching and all ». L’effort global mérite un bravo si ce n’est trois bans pour un gars qu’on savait bien capable d’écrire quelque chose d’un peu différent.

Les influences, il les a abordées, et fidèle à lui-même, il tient à les référencer lourdement dans ses vers. Les Kinks (« village green »), John Lennon (« watching the wheels »), ou le retour fracassant des Stones de Dig Out Your Soul (« shine a light »), les maîtres à penser sont là. L’artiste a même évoqué la dance de fin des années 80, qu’il adore secrètement, pour expliquer la boucle très vidéoludique AKA… What a Life! Mais, outre les produits typiquement noelisants comme le fougueux Broken Arrow ou If I Had A Gun, c’est peut-être à Paul McCartney le magnifique qu’appartient l’ombre qui plane sur la majorité des morceaux de High Flying Birds. Notamment dans ces “voyages en wagon” comme le redoutablement efficace (Stranded On) The Wrong Beach, dont le boogie crépusculaire évoque Nineteen Hundred and Eighty-Five de la carrière post-Beatles de Macca. On pouvait lire plus haut que l’album n’inventait pas l’eau chaude. Effectivement, on décèle deux tics principaux dans l’écriture des mélodies et des rythmes de cet album. Premièrement, les swings vocaux à cinq syllabes très similaires qui structurent plusieurs morceaux de la même manière (un « calling out to me » quasi-identique se retrouve dans The Death Of You And Me et Wrong Beach, sans parler du même motif élastique discernable dans les couplets de Dream On). Le lien de parenté est facilement retraçable. Macca se trouve être spécialiste de ces escapades pas vraiment rock ni tout à fait pop, ces titres où il s’entiche de prendre un environnement sombre, gras et saturé comme le parfait terrain de jeu pour pousser une chansonnette inconséquente. Deuxièmement, le hachage ultra-régulier et continu à la batterie est certainement kinksien mais surtout très Penny Lane ou Getting Better des Beatles. On peut littéralement dire que Noel vous tient la jambe pour que vous tapotiez du pied sur son album. De nouveau, accusés, levez-vous ! Encore les mêmes ! Soldier Boys And Jesus Freaks, The Death Of You And Me, Dream On, Wrong Beach…

Le modeste nombre de pistes rend plus aisée encore l’analyse des recettes employées pour provoquer de l’instant-catchy. La célébrissime descente harmonique à la James Bond s’unit à la remontée du « You’ll be older too » de When I’m 64 des Beatles dans un seul et même morceau, encore une fois Soldier Boys and Jesus Freaks, qui dans toute son indéniable qualité, met à jour les poutres apparentes de la créativité très balisée de Noel Gallagher. A sa décharge, l’auteur a déclaré avoir voulu stocker ses compositions pop/rock « similaires » sur son premier album solo, avant de passer à un skeud autrement plus éclectique l’année prochaine avec le groupe d’électro Amorphous Androgynous. On peut d’ores et déjà se dire qu’on n’y trouvera pas de l’expérimental dégrossi, mais bien d’autres mélodies universelles qui ont fait et font toujours la force de l’écriture de Noel Gallagher. Réjouissons-nous : atomisée et décortiquée, la musique du Chief révèle des lieux communs et du vieux mastic. Mais quand elle investit nos esgourdes, elle est toujours aussi simple de virtuosité, virtuose de simplicité, apte à vous bercer sans vous infantiliser. Vous avez peut-être déjà entendu ça quelque part, peut-être même il y a quinze minutes dans le même disque sous une autre forme, qu’importe : disons que l’album forme un tout homogène. Du simple bon son n’a pas à vous inspirer de réflexion théorique et structurelle, si ce n’est a posteriori, lorsque vous tentez de rationaliser votre coup de cœur.

A titre personnel, je conseille vivement à chacun, aussi culturellement sophistiqué soit-il, de prêter une oreille à ce High Flying Birds, honnête dans ses faiblesses mais majestueux dans ses ritournelles. Pour en terminer avec les formules politiciennes, le flou n’a pas révélé de loup, mais une vraie force tranquille, un homme de bien qui sait dégager la synthèse des différents courants de sa famille musicale et peut montrer la voie à toute la nation du rock, et pourquoi pas mener le rassemblement multipartisan chez les amateurs de bonne musique de tous horizons.

J’en termine ici car je sais que quand je commence à parler le hollandais, j’ai besoin d’un peu de sommeil.


© Alex pour OmniZine - L'omni-webzine des omnivores de la culture, des sports et de la geekitude !, 2011. | Permalien | Pas de commentaire