OTAN et Libye

Publié le 19 octobre 2011 par Egea

Un de mes correspondants me demandent de faire le bilan de l'action de l'OTAN en Libye. J'avais déjà écrit une série sur la question avant l'été. Maintenant que la guerre touche à son terme, il n'est pas inutile de revenir sur le sujet.

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En juin/ juillet dernier, certains parlaient encore de défaite de l'OTAN en Libye. (Anders Fogh Rasmussen a annoncé la semaine dernière la prochaine fin des opérations...) Qu'en est-il aujourd'hui?

On n’a pas parlé de la défaite de l’OTAN, on a seulement évoqué, au printemps, un éventuel enlisement. Au fond, seuls les journalistes s’en sont fait l’écho, car aucun stratégiste sérieux n’a appuyé cette hypothèse. Il faut se méfier du temps des médias, fait d’immédiateté et d’impatience, et comprendre que le temps réel obéit à d’autres rythmes. La guerre est une chose toujours plus longue qu’on le croit. La France et l’Occident d’une façon générale, croient beaucoup à la « victoire décisive », se référant probablement aux fulgurances de Napoléon ou à l’expérience de la campagne de France en 1940. Ce temps là est fini, la guerre a changé de nature, et elle prend du temps. Au final, c’est militairement une victoire pour l’OTAN, même si on peut discuter des conséquences politiques de l’affaire : cela sort alors du cadre allié et du temps de la guerre.

On a vu des Etats-Unis en retrait (officiel) dans les opérations et une Europe qui ne se cantonnait plus à son softpower habituel... L'intervention a-t-elle changé la répartition des rôles dans l'OTAN?

Effectivement, votre diagnostic est assez bon. Les Etats-Unis, qui s’étaient déjà investis dans ce qu’ils ont appelé « le grand Moyen Orient », avec des succès pour le moins mitigés, ne voulaient pas être à nouveau en première ligne, tant vis-à-vis du monde arabe que pour des raisons de politique intérieure. Mais ils ont voulu cependant s’engager (la ligne Clinton a prévalu sur la ligne Gates, plus isolationniste). Ceci explique le modèle de « winning from behind ». Quant à l’Europe, précisons les choses : il s’est agi d’une initiative franco-britannique, plus ou moins suivie par certains (Italiens, Belges, Danois, et aussi les Norvégiens qui sont des alliés non UE) mais pas par d’autres (Pologne et surtout Allemagne). L’Europe n’a donc pas présenté un front uni. C’est pourquoi on a utilisé dans un deuxième temps le cadre otanien, afin de légitimer les choses.

La formule adoptée peut alors s’assimiler à une sorte de « Berlin + », les Européens utilisant les moyens de l ‘OTAN, mais avec une triple différence par rapport au cadre prévu lors des accords en 2003 :

  • d’une part, il était plutôt à l’initiative des Américains qui demandaient « plus d’Europe » (cf. le discours de Robert Gates le 10 juin 2011) ;
  • d’autre part, s’il y avait une sorte de direction « européenne » , elle demeurait transatlantique (le général commandant l’opération était canadien, et les Américains ont continué de fournir pas mal de moyens, en renseignement ou ravitaillement en vol) ;
  • enfin ce n’était pas la PESD en tant que telle qui agissait mais certains Européens seulement.

Est-ce que l'organisation sort renforcée du conflit?

Elle n’en sort pas affaiblie, ce qui par les temps qui courent est un succès, donc un renforcement. L’affaire a prouvé la nécessité d’une structure permanente qui a servi de cadre de référence dans lequel on a pu piocher : à l’heure où certains posent la question de son utilité, c’était bienvenu. Autrement dit, l’OTAN, outil militaire d’une alliance politique, l’Alliance Atlantique, n’est pas un être qui agit seul : elle est un outil à la disposition de ses actionnaires, qui s’en servent en l’adaptant à leur dessein : en ce sens, elle a rempli son office.

Comment interpréter la position américaine?

D’une part, les Américains sont touchés par la crise, et doivent faire des économies, y compris en matière de budget de défense : la question du « burden sharing » revient donc au centre des préoccupations, et ils demandent aux Européens d’en faire plus. D’autre part, ils n’ont pas d’inquiétude de sécurité en ce qui concerne la zone euro-atlantique, au contraire de ce qui se passe dans le Pacifique et notamment en mer de Chine. On assiste donc à une bascule des efforts, une sorte de moindre intérêt américain pour l’Alliance. Cela ne signifie pas abandon, juste qu’il y a désormais plus de place pour des initiatives européennes, recommandées par les Américains eux-mêmes.

Etes vous d'accord avec cet extrait d'un article publié le 19 juillet sur Slate (!?) : " Quand les Américains ne veulent pas ou ne peuvent pas, l'OTAN est impuissante. France et Royaume Uni n'ont pas les moyens militaires de leurs ambitions politiques"(...)

C’est typique d’un point de vue polémique (et très américain) qui brode sur le thème Kaganien de l‘Amérique est Mars, quand l’Europe est Vénus. Il est surtout intéressant de remarquer l’hypothèse qui aurait été impensable il y a dix ans : « Quand les Américains ne peuvent pas » : cela revient à admettre que le discours traditionnel de la puissance militaire, technologique et massive, ne suffit plus au monde actuel. Même les Américains en font l’expérience ! On sent de plus un certain dépit, de voir que les Français et les Britanniques s’en sont finalement sorti. On dira qu’ils ont été aidés, que ce n’était « que » contre Kadhafi : mais souvenez vous de votre question précédente sur l’enlisement : à la guerre, on ne sait jamais ce qui sort du chapeau et il est toujours facile, après coup, de dire que c’était facile et non probant. Cela étant dit, cela ne veut pas dire que les moyens militaires sont forcément suffisants pour tous les cas. Constatons simplement que cette fois-là, quelles que soient les limites ponctuelles, ils ont suffi. C'est comme l'équipe de France de rugby : peu importe la beauté du jeu, elle est en finale alors qu'aucun commentateur (notamment anglo-saxon) ne l'y voyait.

C'est la première fois (il me semble) que l'organisation intervient dans une "guerre civile" (vous jugerez de la pertinence du terme) pour soutenir un camp contre l'autre. Le rôle de l'OTAN est-il en train d'évoluer?

Dans l’affaire libyenne, écoutez le discours constant : il s’agit de mettre en œuvre la résolution 1973 de l’ONU et de protéger les civils, c’est répété à l’orée de chaque point de presse de l’OTAN. Celle-ci est sous la coupe des Nations-Unies Donc officiellement, elle ne prend pas parti.

Mais votre question dépasse en fait l’Alliance Atlantique : ce qui fait débat, c’est la doctrine de la « responsabilité de protéger », qui est onusienne et non pas otanienne. L’ONU avait soutenu l’intervention en Côte d’Ivoire contre Laurent Gbagbo, et les Russes avaient dit à l’époque : c’est exceptionnel, on le tolère, mais ce n’est pas un précédent. Ils ont accepté la 1973 et estiment depuis que les Occidentaux sont allés trop loin. Cela explique leur raidissement, ainsi que celui des Chinois, à propos de l’attitude à adopter vis-à-vis de la Syrie.

La question n‘est donc pas celle de l’outil (l’OTAN, l’embargo, le gel des avoirs, les résolutions, …) mais celle de l’action internationale face à des « questions humanitaires intérieures ». Si elles sont humanitaires, la solidarité internationale devrait jouer ; mais si elles sont intérieures, la doctrine fondamentale à l’ONU de la souveraineté nationale empêche cette action.Il y a contradiction : c'est à la communauté internationale de la résoudre.

O. Kempf