Depuis maintenant deux ans et demi, le site fiscalité environnementale-innovation politique explore les solutions possibles à nos crises économiques et écologiques. Avec plus de deux cent articles, il prospecte toutes les pistes possibles pour inventer des issues concrètes à nos problèmes. L'auteur en est convaincu : la fiscalité peut être un des instruments les plus efficaces pour mener des politiques volontaristes. Or, de nombreux lecteurs réagissent avec violence à l'idée de taxation: les impôts ont toujours été impopulaires. C'est pourtant une composante essentielle de notre vie en société.
Dans un courriel à Télérama, M Rochon livre un beau petit texte assez pertinent pour que je le transcrive en entier : "Si en matière économique, chaque fois qu'on entend "l'Etat", on donnait à ce mot son véritable sens en le remplaçant par "le contribuable", ça donnerait ceci : la dette phénomènale du contribuable... le déficit budgétaire du contribuable ... le contribuable va aider ... le contribuable subventionne ... le contribuable va trouver X milliards d'euros pour renflouer ... le contribuable va devoir faire face à ... le contribuable va devoir payer pour ... le contribuable doit faire des économies ... l'Etat, c'est vous, c'est moi !
Beau texte qui refuse la simplification courante autour des impôts qui "nous écrasent". La réalité est plus prosaïque : l'impôt nous sert puisque son produit, indirectement, nous revient et est utilisé à notre profit.
Un peu d'histoire de la fiscalité doit nous permettre de comprendre ce qui se passe. Certes, pendant longtemps, la fiscalité d'Etat a été au service des pouvoirs. Les rois et princes y trouvaient les moyens de légitimer leur puissance d'apparat et leur force militaire.
Tout change à partir de la fin du XIXéme siècle. Bismarck, en Prusse, est à l'origine de l'invention d'un système d'assurance d'Etat qui couvre d'abord les accidents du travail, puis s'étend aux maladies. Il imagine aussi un système de retraite par répartition. La solidarité nationale couvrira le risque du chômage ensuite à partir du milieu du XXéme siècle.
Dans les pays européens, ces systèmes se mettent en place progressivement au cours du siècle. Ils diffèrent radicalement des impôts classiques au service des puissants. Ici, les prélèvements doivent revenir aux citoyens. Ils seront couverts et accompagnés lors des différentes étapes de leurs vies. L'impôt n'est donc plus "contre" le contributeur mais "pour" lui. Le système de répartition instauré en France ne fait pas preuve de pédagogie : le salarié a en effet le sentiment que c'est le patron qui paie ces impôts. En réalité, toutes ces contributions sont prélevées à la racine de son salaire.
L'impôt sur le revenu est une invention contemporaine de la solidarité nationale. En France, il est instauré en 1914 pour promouvoir l'effort de guerre. Il sera bien entendu maintenu. Il faut en comprendre les raisons : au fur et à mesure des avancées démocratiques, les citoyens exigent et obtiennent de plus en plus de services à leur profits: hôpitaux, écoles, routes. Ces services ne vont cesser d'augmenter. Si, en 1930, on se contentait de mener son enfant au certificat d'études; on n'envisage guère un minimum de BAC+2 aujourd'hui. On se doute que cette accroissement des exigences sociales a un coût ... que l'Etat répercute sur le contribuable.
Ces exigences croissantes ne cessent pas. Cela mérite explication : les citoyens et les élites ne sont pas toujours conscients de ce phénomène. Prenons un exemple : la loi française, parfaitement respectable d'ailleurs, imposant des équipements d'accès pour les handicapés dans tous les lieux publics. Le législateur s'est donné bonne conscience en l'adoptant mais il a, d'un trait de plume, créé une dépense budgétaire totale de plusieurs dizaines de milliards d'euros. A méditer en ces temps de déficits galopants.
C'est pour répondre à ces besoins budgétaires renouvelés que l'on a inventé, lors des trente Glorieuses, la TVA et la TIPP. La première, conçue en 1954 par le français Maurice Lauré, a été adopté ensuite dans toute l'Europe car elle permettait de financer les besoins de services croissants de nos populations développées. La seconde a permis de financer le développement de nos indispensables réseaux routiers.
Depuis 20 ans, les politiques libérales menées ont fragilisé nos services publics: en cherchant à diminuer prélèvements "obligatoires" et impôt sur le revenu, elles ont diminuées les ressources budgétaires assurant le financement de l'Etat et des collectivités, elles ont accrues les déficits.
En réalité, les impôts sont donc bien au service des citoyens et de la société. Grâce à eux, nous pouvons financer les multiples services qu'une pays développé se doit d'offrir à ses habitants.
Aujourd'hui, nos sociétés doivent trouver un nouveau modèle économique "durable" fondé sur une économie "verte". Il faudra donc bien financer cette transition. Il ne faut pas se faire d'illusions: cette transition, essentielle au redémarrage de nos sociétés, devra, en grande partie, être financée par l'impôt.
Il nous faut donc inventer une nouvelle fiscalité innovante, juste et efficace, au service des citoyens. Si la création de la TVA fut à l'origine du poujadisme dans les années 50, les défenseurs de ce mouvement et leurs descendants ne pourraient plus aujourd'hui se passer des services et prestations qu'ont permis cet impôt. Il en sera de même avec les contributions incitatives qu'il nous faut inventer aujourd'hui.