Cependant, à la sortie de ce double album compilation en 1998, la tourmente était déjà lancée. Disparue l’année précédente, après n’avoir officiellement réalisé qu’un EP et un LP, respectivement le Live At Sin-é (quatre titres) et Grace datant de 1993 et 1994, la sortie de ces vingt titres fut un véritable casse-tête autant pour les proches de l’artiste que pour ses déjà très nombreux fans.
En effet, Jeff Buckley est décédé tragiquement en pleine période d’enregistrement de ce qui devait être son second album, au titre probable mais non certain de My Sweetheart The Drunk. D’où l’ajout ici du substantif Sketches, puisqu’il ne peut s’agir de sortir l’album dans la mesure où il n’était pas terminé, peut-être même très loin de l’être, d’où les problèmes éthiques que pose cette publication.
Plus de dix ans après, et la montée sans cesse croissante de la notoriété de Jeff Buckley, et, par conséquent et malheureusement, la multiplication des sorties de compilations, lives ou rééditions, ce Sketches For My Sweetheart The Drunk se révèle être le seul disque de cet après-97 à posséder, avec les deux disques précédemment cités, ainsi que le DVD Live In Chicago.
Chacun des deux disques diffèrent de par son approche. Le premier possède l’apparence d’un véritable album totalement terminé (j’ai bien dit l’apparence). Comme l’image de l’artiste sur la couverture : au-delà du fait qu’il s’agit d’une photo, c’est en dépliant le livret que l’on se rend compte que ce n’est pas Jeff Buckley, mais son reflet sur un miroir (d’où l’aspect légèrement floue de la photo). L’image est on ne peut plus explicite : oui, il est définitivement passé de l’autre côté du miroir.
Ensuite, la musique elle-même n’est plus tout à fait celle de l’artiste, mais désormais uniquement celle de ses auditeurs (sans oublier ceux qui gèrent dorénavant sa carrière posthume).
Donc, au final, le premier disque et ses dix titres ne possède pas de réel défaut, si ce n’est qu’il manque une homogénéité évidente, puisque l’on pourrait classer en deux groupes les chansons : celles qui semblent parfaites, c’est-à-dire produites parfaitement, et les autres, manquant de parfois de relief, même si ces dernières n’en demeurent pas moins aussi bonnes, voire meilleurs que les autres. Seule « You and I », en bout de disque, dépareille vraiment, avec son côté lyrique exacerbé.
Sur le second, on sent bien vite l’envie d’offrir encore de la musique (je ne crois pas à du remplissage une seule seconde). D’entrée, « Nightmares by the sea » et « New year’s prayer » vous laisseront sur votre faim, les deux étant déjà présents sur le premier disque dans des versions tellement proches que, pour le coup, on aurait pu croire au fameux remplissage. L’écoute de l’intégralité du second volet est très difficile, avec des moments très douloureux (la reprise de « Back in NYC » de Genesis), ou d’autres plus évidents, comme « Jewel box » et « Satisfied mind » (la troisième reprise, avec celle de « Yard of blonde girls » sur le premier disque). Quatre sessions d’enregistrements avec Tom Verlaine (ancien Television) avaient eu lieu, dont une non-officielle en compagnie de l’ami de longue date du chanteur, Michael Clouse, en tant qu’ingénieur et donc à la place d’Andy Wallace (qui avait déjà travaillé sur Grace), ayant donné les meilleurs résultats, que l’on retrouve sur le double disque. Quant au choix des titres à publier ou non, la mère du chanteur disparu, Mary Guibert, ainsi que Chris Cornell (ancien Soundgarden) y ont contribué. quant aux musiciens, Michael Tighe à la guitare et Mick Grondahl étaient restés à ses côtés après le premier album.
Au final, et fort logiquement, il ne peut s’agir d’un album post-Grace, car tout n’est pas génial parmi les vingt différents titres offerts. Malgré tout, Sketches For My Sweetheart The Drunk possède de nombreux sommets : le single « Everybody here wants you », « Opened once », « Nightmares by the sea », « Witches rave », « New year’s prayer », « Morning theft », le déjà joué sur scène « Vancouver » ou encore « Haven’t you heard » et les déjà cités « Jewel box » et « Satisfied mind » (qui avait été enregistrée en 1992), et j’ajoute « Thousand fold » (présente en bonus sur l’édition japonaise). Un dernier album, si l’on peut le considérer comme tel, dédié à Nusrat Fateh Ali Khan, que Jeff considérer, comme il aimait à le rappeler, comme son Elvis à lui. Inshallah.
(in heepro.wordpress.com, le 19/10/2011)
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Voir aussi : Live At Sin-é – Songs To No One