L’aéroport de Francfort victime de décibels nocturnes.
C’est une bouffée d’oxygène qu’attendait avec impatience Fraport, société de gestion de l’aéroport de Francfort, l’ouverture d’une quatrième piste. Laquelle va porter sa capacité à 126 mouvements/heure et lui permettre de tendre vers les 90 millions de passagers annuels, à comparer à 53 millions l’année dernière.
Jusque là, le dossier était banal. Fraport investit un milliard d’euros par an et entend bien répondre sans contraintes à la croissance régulière du trafic aérien. Si ce n’est qu’un incident de parcours particulièrement instructif vient de se produire : la quatrième piste sera bien ouverte au trafic vendredi, comme prévu de longue date mais, simultanément, un couvre-feu entrera en vigueur, interdisant tout décollage ou atterrissage entre 23 h et 5 h. D’où la levée de boucliers des compagnies aériennes, à commencer par Lufthansa.
Très inquiète, cette dernière s’est retournée vers le tribunal administratif qui impose cette mesure à Fraport. Et, rebondissement inattendu, elle propose de surseoir à l’ouverture de la nouvelle piste, la monnaie d’échange étant le renoncement pur et simple au couvre-feu. Une idée jugée saugrenue et que les juges refusent tout simplement de prendre en considération. On peut en conclure que le différend n’en restera pas là et que ses développements seront suivis avec attention par de nombreuses autorités aéroportuaires, en Europe et ailleurs dans le monde.
La question posée est, implicitement, d’importance primordiale. Le trafic mondial s’achemine à grand pas vers les 3 milliards de passagers par an (au moins 2,6 milliards cette année) et devrait doubler d’ici à 2025. Pour absorber une telle progression, il ne suffit pas de bien gérer l’espace aérien, là où il est le plus encombré, et de construire des aérogares supplémentaires. Il est tout aussi indispensable de disposer d’un nombre adéquat de pistes, la capacité de ces dernières n’était pas extensible. Aussi le cas de Francfort apparaît-il exemplaire, tout autant, outre-Manche, que l’est celui de Londres Heathrow et, dans une moindre mesure, de Gatwick. Lesquels sont tout simplement au bord de l’asphyxie.
L’Allemagne bénéficie pourtant de circonstances favorables qu’on ne retrouve ni en France, ni au Royaume-Uni : l’économie y est fortement décentralisée et d’autres grandes plates-formes prennent en charge une bonne part du trafic, Francfort n’en traitant que la moitié environ. Ce qui explique qu’il n’occupe que le troisième rang européen, derrière Londres et Paris. Dans une autre configuration économique, il serait évidemment grand numéro 1.
Cet incident de parcours incite à la réflexion. Le fret (2,2 millions de tonnes annuelles à Francfort) joue depuis longtemps un rôle indispensable dans l’économie mondiale et, au-delà de ce que disent les statistiques, il est vital pour le bon fonctionnement de l’économie numérique, le commerce électronique né d’Internet exigeant que les FedEx, UPS et autres DHL fonctionnent jours et nuit, en se jouant des fuseaux horaires et contenant leurs coûts grâce à l’utilisation intensive de leurs avions.
Le tribunal administratif de Francfort prend certainement en compte de telles considérations. Mais, dans le même temps, il est à l’écoute de riverains qui ne supportent pas de subir des pluies incessantes de décibels tombés du ciel. Les promesses des motoristes, celles d’un avenir moins bruyant, ne les rassurent pas, sachant que les progrès en cette matière sont réels, certes, mais d’autant plus lents qu’une génération d’avions et de propulseurs vit au moins 25 ou 30 ans.
Le problème n’est pas nouveau mais il prend peu à peu une ampleur nouvelle, alors qu’il tient tout à la fois du cercle vicieux et de la quadrature du cercle. Voici donc un tribunal administratif allemand investi à sa grande surprise d’une lourde responsabilité qu’il n’a évidemment pas cherchée.
Pierre Sparaco - AeroMorning