Hommage à Bad News Brown

Publié le 18 octobre 2011 par Raymond Viger

Cobna, Dice-B, Général, Sa Majesté l’Intrus et Sans-Pression s’expriment

Bad News Brown, son harmonica, rap et Hip hop

Le 11 février, le rapper harmoniciste Bad News Brown a été assassiné. Sous le choc, des membres de la communauté Hip-Hop, Cobna, Dice-B, Général, Sa Majesté l’Intrus et Sans-Pression, ont tenu à rendre hommage à cet artiste hors du commun qui a voué sa vie à son art.

Dominic Desmarais  Dossier Hip-hop, Rap

L’idée de rendre hommage à cet artiste inclassable est venue de Général, un rapper bon ami de Bad News Brown (BNB).

Il a rassemblé quelques artistes hip-hop qui ne se sont pas fait prier pour saluer leur frère musicien.

Alors que le milieu hip-hop est constitué d’egos où chacun se perçoit comme étant meilleur que les autres, le respect de ces 5 artistes pour l’homme qu’était BNB est marquant. À l’image de la courte vie du défunt.

Bad News Brown: un artiste respecté

Rares sont les musiciens qui font l’unanimité dans le hip-hop au Québec. Bad News Brown est un cas à part. «Il a commencé à jouer au début des années 1990. Il jouait de l’harmonica ou tapait sur des sceaux au métro Lionel-Groulx. C’était impressionnant. C’était la première fois que je voyais un jeune noir jouer dans le métro. Tout un contraste avec les bums, les gens plus âgés ou les étudiants qui pratiquent leur violon pour l’école.

«Bad News Brown avait un beat hip-hop. Je trouvais ça cool», se souvient Dice-B. «À part jouer dans le métro, il ne faisait rien. Mais il était très respecté parce qu’avec son harmonica, il faisait de la musique qu’on avait jamais entendue. Je ne connais pas de rapper qui aurait osé jouer dans le métro», ajoute Cobna. Le respect de ses pairs, Bad News Brown le recevait avant même que sa carrière ne débute officiellement.

Bad News Brown le sympathique

«Bad News Brown avait quelque chose de spécial. Une personnalité sympathique. Il n’était pas menaçant pour les autres artistes. Le concept du rap, c’est l’ego trip : «c’est moi le meilleur.» C’est pour ça qu’il n’y a pas beaucoup de collaborations entre rappers ici comme aux États-Unis ou en France. C’est très jaloux ici. On a encore peur que l’autre nous vole la vedette.

Mais Bad News Brown, avec son harmonica, ne prenait la place de personne. Le milieu du hip-hop le voyait davantage comme un musicien, ce qui lui permettait de collaborer avec tous les artistes du hip-hop québécois. La majorité des rappers ont chanté avec lui ou prévoyaient de le faire. Et je n’en ai entendu aucun se plaindre que Bad News Brown ait exigé de l’argent pour sa collaboration. Il était généreux avec sa musique, son temps, sa personne», explique Dice-B.

Bad News Brown: artiste de l’amour

«Je ne me souviens pas d’un moment négatif. Il manquait quelque chose sur une chan-son de mon album Réplique aux offusqués Ti-Moune. Je n’allais pas la mettre sur mon CD. Quand il s’est pointé avec son harmonica, il a fait lever la chanson», explique Sans-Pression. «Il n’a pas de barrière de langue. Son harmonica, c’était son langage. Peu importe d’où tu viens, tu n’as pas besoin de comprendre. Tu écoutes et tu comprends», ajoute Sans-Pression.

«Ce n’est jamais arrivé qu’on dise ouache! de sa musique. Tout le monde, peu importe la foule, vibrait d’amour au son de l’harmonica. Il montrait toujours du love! C’est pour ça qu’on est choqués par son assassinat. Il ne cherchait pas le trouble», dit Cobna.

Les problèmes, Bad News Brown ne les créait pas. Il les réglait. «J’ai eu une altercation dans un club avec quelqu’un qui s’énervait. Sorti de nulle part, alors que je ne savais même pas qu’il était là, Bad News Brown est arrivé pour calmer les choses. Ce n’est pas mon meilleur ami, je ne l’ai pas vu si souvent que ça mais à chaque fois, il s’arrangeait pour me mettre à l’aise. Lors d’un show avec des artistes européens, on m’a avisé qu’on allait réduire le temps de ma prestation. Je me prenais la tête avec les organisateurs. Après 30 minutes d’intenses obstinations, il est apparu et a tout réglé. C’est comme ça que je le connais, comme un gars qui veut faire régner l’harmonie. Je ne connais personne qui aurait fait ça pour quelqu’un d’autre», raconte Sa Majesté l’Intrus.

Du métro à l’international

L’assassinat de Bad News Brown demeure nébuleux. On ne lui connaissait pas d’ennemis. Il ne frayait pas avec le milieu criminel. Pourle rapper  Général, qui a quitté les gangs de rue pour se consacrer à la musique, la mort de son ami est un rappel à l’ordre. «Je viens de Montréal-Nord. J’essaie, comme les autres rappers, de représenter un groupe de gens, leur réalité. Mais il y a de la jalousie. Les gens se disent : ‘‘je suis comme lui, je chante mieux, je suis meilleur.’’ C’est un problème dans la communauté. Aussitôt qu’il y en a un qui réussit, les autres sont jaloux. Bad News allait être le premier artiste hip-hop du Québec à débloquer. Il a commencé dans le métro et il allait entamer une carrière internationale. Et il finit assassiné. C’est injuste.»

Le film Bumrush

Avec son harmonica et son entregent, Bad News Brown voyait les portes de la scène musicale mondiale s’ouvrir à lui. Il avait fait des premières parties de vedettes comme Nase et devait collaborer avec les Black Eyed Peas. Il se préparait à partir en tournée aux États-Unis et en France.

Bad News Brown jouait un rôle de premier plan dans Bumrush, un film autour des gangs de rue. Il est décédé avant la sortie du film. «Il voulait m’emmener avec lui en France. Et je le connais depuis moins de 3 ans. S’il n’était pas mort, il m’aurait ouvert tellement de portes. C’est lui qui a fait en sorte que les artistes américains s’intéressent au hip-hop québécois. Le film et ses contacts avec des rappers de partout dans le monde auraient amené la scène locale à un autre niveau. Il était engagé dans la communauté. Il ne pensait pas qu’à lui. Pour Bumrush, il est allé chercher des gars du hip-hop. J’ai un grand respect pour ça. Il aimait le rap québécois», explique Général.

Une vedette qui pense aux autres

«Il a donné un rôle à 40 jeunes noirs dans le film. Peu importe le sujet de Bumrush, c’est lui qui a placé les jeunes. Pas de vrais acteurs. Il y avait beaucoup de belles choses qui se présentaient à lui mais il n’a pas eu le temps de les mettre dans sa bouche, de les savourer.

Tout ce qu’il a fait, c’est dresser la table pour qu’il puisse manger et offrir le repas aux autres. C’est pour ça que sa mort est triste. On doit s’assurer de ne jamais l’oublier. C’est un des nôtres. Pas juste un noir, un haïtien. C’était un gars du milieu. Dès qu’un nous quitte, il ne faut pas l’oublier.Et sa mort est violente. C’est un meurtre. Bad News Brown assassiné? Ça vient de nulle part. Il n’était pas associé à la violence. Le seul côté fâché de lui que j’ai vu, c’est dans le film! Et j’étais déçu qu’il participe à une promotion où il a l’air violent. Ce n’était pas lui», résume Dice-B.

«Qu’on le connaisse ou pas, on partage l’amour de la musique. Car c’est un rêve, la musique. On partage ce rêve de se faire entendre. De réussir à passer des messages, à s’exprimer. Il allait le faire. Le film, ses collaborations internationales, il était en train de réaliser le rêve de tout artiste», affirme Cobna.

«Le plus dommage, c’est qu’il a un enfant. Même si on parle d’un artiste, d’une bonne personne, avant tout il a donné la vie à un être humain qui ne connaîtra pas son père. Fuck la musique, le plus dommage, c’est son fils. Sa vie ne sera plus pareille. Il faut penser à sa famille. C’est dur pour le milieu du rap. Mais ça l’est encore plus pour sa famille», conclut Sa Majesté l’Intrus.

Le hip-hop québécois est en deuil. Son rayon de soleil s’est éteint. Celui qui voulait rassembler le milieu et lui offrir une vitrine mondiale n’est plus. La communauté du rap poursuivra-t-elle dans la voie que Bad News Brown a tracée ou persistera-t-elle à s’entredéchirer?

L’essence de Bad News Brown survit

Le 8 mai dernier a eu lieu a Montréal un spectacle hommage à Bad News Brown. Plusieurs artistes de la scène hip-hop et en provenance d’autres horizons se sont alors rassemblés au Metropolis pour un dernier coup de chapeau à cet homme qui en a marqué plusieurs.

À coup de 20$ et 25$ le billet, les profits amassés au cours de la soirée ont été remis à une fondation au nom de Paul Frappier, alias Bad News Brown. Cette fondation vient en aide aux jeunes défavorisés vivant dans la rue et veut leur révéler des alternatives de vie à travers la musique. Aussi, l’argent amassé lors du spectacle permettra de produire les derniers enregistrements de Bad News Brown. Une façon pour plusieurs de garder en vie l’essence de Bad News Brown, de poursuivre dans la voie empruntée par Paul Frappier.

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