Journal de Oaxaca : ombres et lumières
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Peter Kuper est un illustrateur, auteur de bandes dessinées new-yorkais, particulièrement connu pour ses dessins de presse et son travail en lien avec l’actualité. Oaxaca est une petite ville du sud du Mexique, capitale de l’État du même nom. Entre les deux, une histoire étonnante et émouvante s’est nouée, une histoire inattendue qui s’est concrétisée par la publication du Journal d’Oaxaca.
Peter Kuper, Journal d'Oaxaca
« M’être trouvé au bon endroit au “mauvais moment”, voilà comment est né le Journal d’Oaxaca. » C’est sur ces mots que Peter Kuper introduit ces deux années passées au Mexique. Le « mauvais moment », c’est 2006, lorsque la grève des enseignants se transforme en guerre et fait d’Oaxaca une ville assiégée. Venu avec femme et enfant passer deux années hors de l’agitation et du désespoir qui envahit les États-Unis après la réélection de George Bush, Peter Kuper arrive dans un contexte politique tendu qu’il ne soupçonnait pas. Au cours des premiers mois de son séjour, il assiste à une montée de la violence étatique, il circule entre les barricades, observe la répression. Il découvre également la désinformation dont sont victimes ses proches, restés aux États-Unis. Devant l’inexactitude des faits relayés par les médias occidentaux, il décide de prendre ses crayons et de relater ce qu’il vit au quotidien, en assumant la subjectivité de sa démarche. Ce journal de bord s’adressait d’abord à ses proches, puis, de fil en aiguille, il est venu à le publier. L’objet qui en ressort est assez étonnant : un carnet qui mêle textes, dessins, photographies, collages, montages. Surtout, Peter Kuper s’attache à ne pas faire d’Oaxaca un parc d’attractions de la rébellion et de la pauvreté. Si les émeutes de 2006 sont le point de départ du journal, il contrebalance toujours ce qui se passe au cœur de la ville avec une vision plus large du Mexique. Il prend le temps de découvrir ce pays dans son entier : ses paysages, sa poésie, ses luttes, soucieux de restituer la lumière d’Oaxaca, cette lumière incroyable qu’on ne trouve que dans certaines parties du monde.
Avec ces allers-retours, il trace un chemin subtil, adaptant ses techniques à son propos, en prenant le temps de raconter son histoire d’amour avec cette ville, qui s’est tissée autour d’une lutte sanglante et abominable entre la population d’Oaxaca et le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz. Passionné d’entomologie, Peter Kuper utilise les insectes comme fil rouge, truffant ses pages de croquis de cafards, araignées, fourmis, papillons et autres scarabées. Lorsque l’on sait qu’il a adapté la Métamorphose ainsi que d’autres nouvelles de Kafka, ces petites bêtes en deviennent troublantes.
Peter Kuper est rentré aux États-Unis en 2008. Il continue à retourner régulièrement à Oaxaca. Le journal se termine en janvier 2011, toujours entre ombre et lumière : « Voilà que je me remets à parler des problèmes d’Oaxaca, à en donner l’image d’une ville de tous les dangers. Je passe de l’ombre à la lumière et vice versa, mais c’est inévitable ; c’est la nature du lieu qui le veut. À moins que ce ne soit dans ma nature à moi d’utiliser un nuancier contrasté pour dépeindre mon vécu. On dit que la beauté recèle certaines vérités, la réciproque est également vraie. Ainsi en est-il d’Oaxaca. Mais ne vous fiez pas à ce que je vous en dis : allez voir de vos propres yeux. »
Sidonie Han
Journal d’Oaxaca, deux années passées au Mexique, de Peter Kuper. Éditions Rackham, 226 pages couleurs, 24 euros, sortie le 16 septembre 2011.Octobre 2011 – N° 86