Pierre-Henri Gourgeon est démissionné de sa double fonction de directeur général d’Air France et Air France-KLM, Alexandre de Juniac est choisi comme PDG d’Air France et Jean-Cyril Spinetta est nommé PDG du groupe. Le Hollandais Leo van Wijk devient pour sa part directeur général délégué. Ce chambardement à multiples facettes constitue indubitablement un événement majeur tout à la fois pour la compagnie Air France et le tandem franco-hollandais, en même temps qu’un petit chef d’œuvre en termes de communication dans la mesure où seuls des termes très positifs sont utilisés pour tenter de masquer une crise grave.
P.H. Gourgeon, qui avait été reconduit récemment pour 4 ans, part sur la pointe des pieds, en se refusant à tout commentaire. Le conseil d’administration du groupe, pour sa part, trouve les moyens de donner une connotation positive à l’incident de parcours, évoquant des objectifs d’amélioration de la «performance opérationnelle» et s’empressant d’énumérer les noms de fidèles lieutenants qui composent «l’équipe expérimentée» et «rajeunie» qui va entourer Alexandre de Juniac : Florence Parly, Alain Bassil, Frédéric Gagey et Bruno Matheu, étant entendu que Philippe Calavia conserve la lourde tâche de directeur financier.
La réalité est qu’Air France ne va pas très bien : ses résultats financiers sont décevants, sa valeur boursière s’est effondrée (moins 60% depuis le début de l’année), ses coûts restent comparativement élevés et son image a été durablement ternie par la catastrophe du vol Rio-Paris du 1er juin 2009. Laquelle reste accrochée à l’actualité, notamment en raison d’un succès de librairie que suivra bientôt un autre ouvrage dû, celui-là, à un auteur américain. De plus, Ryanair et EasyJet lui font beaucoup de tort.
Cette crise est aussi l’histoire d’un divorce que personne n’ose évoquer à voix haute, celui de Jean-Cyril Spinetta et Pierre-Henri Gourgeon (notre illustration), amis et complices jusqu’à une époque récente, un duo de compétences très complémentaires apparu pour la première fois à l’époque lointaine où tous deux officiaient au sein du Cabinet de Michel Delebarre, ministre des Transports en 1988 et 1989. Spinetta (ENA et Science-Po) avait occupé précédemment plusieurs postes ministériels et, en 1986, avait accédé à la présidence d’Air Inter. Un rude apprentissage, dans une entreprise atypique à forte culture, en même temps qu’une période marquée par l’accident particulièrement douloureux de l’A320 du Mont Sainte-Odile. Après Air Inter et un court intermède européen, Spinetta avait succédé à Christian Blanc à la tête d’Air France, inaugurant ainsi une période de précieuse stabilité managériale sans précédent depuis l’immédiat après-guerre, c’est-à-dire depuis l’époque de Max Hymans.
Gourgeon (Polytechnique et Sup’Aero), a été le plus totalement aéronautique des grands patrons de la compagnie, entré dans la vie active comme pilote de chasse, rejoignant ensuite les services officiels puis des Cabinets ministériels pour devenir directeur des programmes militaires de Snecma. En 1990, il est nommé directeur général de la DGAC et, 4 ans plus tard, rejoint Air France, en dirige des filiales et entre à la direction générale. Un beau parcours.
Le fait est que l’osmose entre les deux hommes s’est lentement évaporée ces derniers temps tandis que s’accumulaient les difficultés de tous ordres. Ces mois-ci, il a beaucoup été question de gouvernance à revoir et corriger, de la nécessité de prévoir de nouvelles mesures d’économies. En termes brutaux, Gourgeon a cessé de plaire en même temps que l’on est en droit de se demander sil n’est pas tout simplement devenu un bouc émissaire.
D’autres questions se posent. Air France n’aurait-elle pas encore adopté totalement une posture d’entreprise privée ? Des lourdeurs syndicales pèseraient-elles exagérément sur son fonctionnement ? Conserverait-elle des habitudes d’un autre âge et notamment un personnel trop nombreux ? L’empreinte étatique resterait-elle trop forte, avec une participation de l’Etat de 15,7% seulement dans le capital de l’entreprise ? On constate par ailleurs qu’Alexandre de Juniac, bien qu’il ait œuvré chez Thales, vient en ligne droite du Cabinet de l’ancienne ministre des Finances, Christine Lagarde. Et que Thierry Mariani, ministre des Transports, a été le tout premier commentateur du dossier, avant même la tenue du conseil d’administration d’Air France-KLM du 17 octobre. Reste le fait que l’heure n’est pas au débat : Air France se doit agir, en faisant bon usage de ses solides atouts.
Pierre Sparaco - AeroMorning