Village de chefs compte deux douzaines de chefs qui travaillent dans les plus prestigieux hôtels des deux hémisphères. Pour la deuxième année consécutive ils se retrouvent à Paris pour échanger sur leurs pratiques à l'Espace Mobalpa ou à l'Ecole Ferrandi.
Les mercredi 5 octobre et jeudi 6 octobre des ateliers étaient ouverts au grand public, gratuitement mais sur réservation. Je me suis rendue à celui qu'animait Nicolas Vienne sur la Chine. Après avoir passé plusieurs années comme Executive Chef au Sofitel Hyland à Shanghai, Nicolas venait de rejoindre la Thaïlande et le Sofitel «So Bangkok». Son intervention a donc établit souvent le parallèle entre les deux pays.
Oublions l’image artificielle que l’on a collée sur toutes les brimbeloteries made in China. La cuisine de ce pays n’est pas de la même nature. La fraicheur est une qualité essentielle. Tout y est préparé et cuit à la minute. Sans employer aucun produit surgelé.
On est loin très loin, des dim sum et des ravioles fabriqués dans les appartements parisiens pour approvisionner le « chinois du coin ».Nicolas a ramené de Thaïlande, exprès pour nous, des aliments totalement inhabituels :
Cette chenille Cordyceps est la plus étonnante. A l’origine cet animal vit dans la terre à l’état sauvage et ce n’est que plus tard qu’elle prend une forme végétale. On la trouve uniquement sur les hauts plateaux du Tibet, à une altitude de plus de 3500 mètres. Son nom est Vartsa cumbu ou « herbe d’été ou insecte d’hiver »
Champignon insectivore, mi animal-mi végétal, il s’agit d’une larve insecte parasitée par un champignon (le Cordyceps), qui finit par tuer son hôte, pour continuer sa vie végétale. Elle est vendue en pharmacie, l’équivalent de 25 euros pièce, ce qui signifie qu’il y a une petite fortune dans le récipient. Son emploi est médicinal, comparable aux nids d’hirondelles. C’est un puissant anti-oxydant et anti plein de choses à raison d’une par jour.
Nous avons été invités à gouter les individus une fois cuits. Les propos de Nicolas avaient refroidi l’assemblée et nous ne fumes que deux à tenter l’expérience. Ma seule crainte, une fois dépassé l’appréhension de croquer dans un insecte, était de faire une réaction allergique. Sachant que c’est rarissime à une première ingestion je pouvais courir le risque. Très franchement je ne peux pas dire que je conserve un souvenir ému de cette expérience car l’animal, ou le végétal, comme on veut, est d’une fadeur affligeante au regard de son prix.
Il y avait aussi des dattes chinoises, qui n’ont rien à voir avec les variétés d’Afrique du Nord ou d’Israël. On est loin de la douceur sirupeuse d’une medjool. Une fois réhydratées elles ont un petit croquant sympathique, sans plus.
Plus chères mais 100 fois plus efficaces que la racine, ce sont des feuilles et des fleurs de ginseng qui s’emploient en décoction, par exemple sur des coquilles Saint Jacques mais avec parcimonie. Nous avons tous été invités à découvrir cette association étonnante, à la fois amère, acide et sucrée, d’un gout proche du bâton de réglisse que l’on donnait autrefois à mâchouiller aux enfants pour calmer leurs gencives enflammées. Il faut être prudent néanmoins, non pas tant à cause des effets (très connus) sur la sexualité masculine mais sur le métabolisme cardiaque. Son action est plus forte qu’un expresso.
Ces champignons « langue de bœuf » poussent à l’horizontale sur les troncs des arbres. On les dédaigne dans notre pays mais en Chine rien ne se perd. Dans un pays qui a connu plusieurs famines tout est précieux. Les écailles et les arêtes se cuisinent en tempura. Il ne viendrait pas à l’idée de jeter les griffes de certains volatiles ni les cornes de chevreuil. Beaucoup de produits ont un emploi très différent de ce que l’on connaît. Ainsi la graisse de grenouille fait merveille sur le visage des femmes.
Nous avons été très surpris par le poivre du Setchouan que je croyais bien connaitre. La variété rose est relativement classique mais le vert, Yunan, est une totale surprise avec ses saveurs de coriandre, d’anis et de citron. Croquer une demi capsule provoque en bouche un feu d’artifices de plusieurs minutes.
Le chef multiplie les anecdotes, nous apprenant que le mot alcool est d’origine arabe mais que ce sont les chinois qui ont les premiers su l’utiliser. La bière a été inventée par les égyptiens mais ce sont encore les chinois qui l’ont popularisée. Des produits qu’on croit d’origine japonaise ne le sont pas comme le riz ou le tofu, qui n’a été introduit au Japon que 700 ans plus tard. Les japonais ont parfaitement su reprendre à leur compte des découvertes chinoises.
Il existe en Chine plus de diversité de pâtes, nouilles et vermicelles qu’en Italie. Tant au plan de la texture que du mode de cuisson. On les ébouillante, on les poche, on les frit … Il avait apporté du soja, du wonton, des nouilles fraiches déshydratées et même du riz blanc, insistant sur le fait que c’est un riz thaï qui est cuisiné en Chine, parce qu’il est moins cher. Le riz chinois est totalement exporté.
Ce sont encore les chinois qui ont lancé la sauce soja alors la fish sauce (le nuoc-mâm) est vietnamienne. Il nous incite à percevoir la différence avec la sauce d’huitre, plus sirupeuse.
La cérémonie du thé est très codifiée. Chacun choisit une tasse avec une figurine particulière qui correspond à une variété de thé et à nulle autre. Il existe, on le sait, le thé noir, le thé blanc et le thé dit « au lait ». Alors qu’on dit qu’on arrose l’arbre pendant sa croissance il s’avère qu’on ajoute simplement du lait en poudre aux feuilles séchées. D’une manière générale le temps d’infusion est assez élevé (5 minutes).
Shangaï se trouve à un carrefour de quatre régions. Cette mégalopole compte 18 millions d’habitants sur une superficie de la taille de l’Ile-de-France. On comprend mieux la diversité de sa cuisine qui utilise beaucoup l’alcool de riz, le vin et le vinaigre. Les plats y sont généralement plus épicés qu’à Canton et la couleur a une importance déterminante. Les sauces ne sont pas montées au beurre comme on le fait mais à l’huile.
Pour nous aider à comprendre ce qu’est la vraie cuisine chinoise, il avait apporté un ouvrage qui n’est en vente qu’en Asie. Il s’agit du dernier livre de recettes de Da Dong, le chef d’un restaurant ultra célèbre de Pékin pour son canard laqué. Il se lance maintenant dans le foie gras. Les recettes sont écrites en chinois et en anglais, très simples, très épurées. Le chef a pris lui-même les photos.
La cuisine de rue n’a jamais été aussi variée parce qu’on fête en ce moment l’anniversaire du Parti Communiste. Tout le monde est en vacances et beaucoup de fermiers sont venus de province avec leur chariot à pédalier pour faire des barbes à papa.
Dans quelques mois on célébrera Noël qui est une fête énorme, avec 24 heures non stop de feux d’artifices. Néanmoins cette cuisine de rue qui est aussi une cuisine paysanne est en train de se perdre au profit des grandes chaines de consommation type KFC ou Starbuck qui sont désormais à la mode avec dix ans de décalage sur l’Europe.
On mange toujours beaucoup de buns, modelés dans une pâte à base de farine, d’eau, d’un peu de lait de coco, de bicarbonate et de levure. Il suffit d’ajouter ensuite de la pâte de haricots rouges pour donner un gout sucré. Le conseil du chef est de les choisir en France sans « filling » c’est -à-dire sans garniture et de la faire soi-même, simple précaution sanitaire qui laisse entrevoir les risques encourus.
Le petit-déjeuner est composé d’un riz intentionnellement « trop » cuit, proche de ce qu’on ferait pour calmer des maux de ventre et qui s’apparente davantage à de la colle à papier qu’à un met raffiné. On le sert avec des œufs dit de cent ans, (cuits salés dans la chaux) des oignons verts et de la peau de canard. Supposant notre manque d’appétit pour un tel menu c’est autre chose que Nicolas a décidé de préparer pour nous.
En Chine, tout ou presque se cuit dans un wok. Le cuisinier contrôle la puissance du feu en limitant l’arrivé du gaz avec son genou. Il nettoie et rince son ustensile entre chaque cuisson et emploie toute une gamme de bouillons de volaille, canard …Chaque employé exécute une tâche et une seule. Il y a le préposé à la friture, celui qui fait les sauces. Par contre l’executive chef cuisine lui aussi alors qu’en France son rôle est de superviser.Il a fait la démonstration qu’on peut préparer un risotto avec n’importe quelle variété de riz, à l’inverse de ce qu’on fait dans nos pays où l’on prend souvent des riz qui ont été emballés il y a plus de deux ans. Sa méthode permet d’employer un riz local, y compris le camarguais pour la France, donc censé être moins cher, de meilleure qualité puisqu’il n’aura pas été stocké depuis plusieurs mois et qui, n’ayant pas voyagé en avion est un produit « carbone zéro ». Le secret, car il y en a un, est de s’y prendre 24 heures à l’avance en le faisant tremper dans l’eau pour le débarrasser de son amidon. Quand on sait cela un riz spécial risotto n’a plus aucun intérêt.
Une fois rincé on nacre le riz, pas trop si l’on veut lui conserver du croquant. On applique ensuite le principe classique de mouillement progressif mais en n’utilisant cette fois que de l’eau. Rien n’est donc plus simple. On peut ne pas assaisonner du tout.
Nicolas nous a fait gouter deux variantes, la première avec ce riz rouge qui ressemble au riz camarguais mais qui provient, non pas de Chine mais de Thaïlande et n’est pas encore commercialisé. Il m’a proposé de me donner une belle portion si bien que j’ai pu reproduire la recette à la maison. Il l'avait relevé de sauce soja véritable Siam organic. La seconde version a été préparée avec un riz blanc relevé d'un hachis d’oignon et une coriandre très parfumée.
Le temps a manqué pour parler de tous les produits qu’il avait disposé, et pour échanger avec les autres chefs venus en copains, comme Philippe Piel , du Four Seasons Resort de Punta Mita au Mexique, et surtout Didier Corlou, le chef de la verticale et Madame Hïen à HanoÏ qui connait aussi bien les 3000 kilomètre de cotes du Vietnam que celles, moins longues, de sa Bretagne natale.
Il nous a mis l’eau à la bouche en nous racontant que la cuisine de rue y est restée authentique. On sort toujours les petites tables sur les trottoirs. On n’y mange jamais avec les mains. Tout est saisi entre deux baguettes et on ne perd rien, on ne jette rien. On finit les bols, parce qu’on reste marqué par 40 ans de guerre. Il décrit le Vietnam où il est arrivé en 1991, âgé de 20 ans, comme étant le grenier de l’Himalaya, avec ses profusions d’épices, de café et de chocolat.
L’initiative de Village de chefs offre une belle ouverture sur les cinq continents que l’on pourra prolonger avec Cuisines en décalage horaire, ou 50 produits racontés et cuisinés par 26 chefs des 2 hémisphères, aux éditions Menu Fretin, 2010.
Enfin l'espace Mobalpa est un lieu tourné vers la gastronomie . On y donne des cours de cuisine. On y enregistre des émissions de télévision dans un appartement de 130 m² spécialement aménagé pour l'occasion. On y présente des expositions. Sa vocation est aussi d'aider les clients à choisir, sans aucune pression d'un vendeur, la cuisine idéale, les espaces de rangement ou la salle de bains de leurs rêves. C'est depuis 4 ans un site unique de 3000 m² présentant toutes les tendances de la décoration contemporaine. Pas moins de 60 000 personnes le visitent chaque année. J'aurai l'occasion d'en reparler.
Espace Mobalpa, 15 bd Diderot, dans le 12ème à Paris (métro station Gare de Lyon, lignes 14 & 1), ouvert du lundi au samedi de 10 à 19 heures.