Soudain, une planète apparaît distinctement dans le ciel. Une planète bleue qui ressemble en tout point à la nôtre. Une autre Terre…
Par quel mystère est-elle arrivée là, à quelques centaines de milliers de kilomètres – une broutille, en navette spatiale… ? Est-elle peuplée? Et si oui, ses habitants sont-ils belliqueux? Nous ressemblent-ils? Ou mieux : sont-ils une projection de nous-mêmes, une autre version de nous-même, meilleure ou pire?
Au vu du sujet, on pourrait s’attendre à un thriller de science-fiction, comme Danger : planète inconnue dans lequel Roy Thinnes (décidément abonné aux rencontres du 3ème type) découvre une planète inverse de la Terre…
On pourrait aussi envisager une allégorie apocalyptique dans l’esprit du Melancholia de Lars Von Trier.
Mais en fait, le film de Mike Cahill, Another Earth repose sur des choses beaucoup plus “terre à terre” – pardonnez-moi l’expression…
Cette histoire de planète ne sert que de déclencheur, puis de toile de fond, à un drame intimiste qui repose sur trois collisions.
La première brise la vie de quatre personnes : la nuit où la planète apparaît, le compositeur John Burroughs se trouve à bord de son véhicule, avec sa femme, enceinte, et leur petit garçon. Rhoda Williams, jeune et brillante étudiante en astrophysique, vient de fêter l’obtention de son diplôme et a aussi pris la route, un peu éméchée. Evidemment, dès qu’elle apprend via la radio l’existence de la deuxième Terre, elle ne peut s’empêcher de lever les yeux vers le ciel…
… et percute de plein fouet la voiture de la famille Burroughs.
La femme et l’enfant meurent sur le coup. John Burroughs survit à l’accident, mais en sort dévasté de chagrin et de solitude.
De son côté, Rhoda est incarcérée dans une prison pour mineurs dont elle sera libérée quatre ans après, rongée par les remords…
Depuis, ils errent comme deux âmes en peine, asociaux et dépressifs, n’aspirant qu’à disparaître dans un trou noir…
La seconde collision provoque au contraire une double renaissance.
Incapable de supporter le poids de la culpabilité sur ses épaules, Rhoda décide d’aller voir John pour s’excuser. Mais elle se dégonfle au dernier moment et se fait passer pour une femme de ménage.
John, qui vit en ermite dans un véritable capharnaüm, décide de l’engager, ignorant tout de son identité.
Peu à peu, une relation complice se noue entre les deux êtres, qui reprennent goût à la vie au contact de l’autre, au point, peut-être de reconstruire quelque chose ensemble…
Mais évidemment, la douleur de la perte et la culpabilité sont toujours présents, et cela finira par rejaillir sur leur relation.
Noir c’est noir?
Eh bien, tout dépend de comment vous interpréterez la troisième collision, la troisième rencontre, qui clôt le film, et de votre aptitude à imaginer ce qui se passe sur l’autre Terre, dont on apprend en cours de route qu’elle est la copie conforme de la nôtre, habitants inclus.
En mode pessimiste, vous pourrez considérer que tout ce qui s’est passé sur notre Terre s’est aussi déroulé sur la planète jumelle - à une ou deux variantes près – donc que l’accident fatal a bien eu lieu et que John est veuf aussi bien sur une planète que l’autre.
En mode plus optimiste, on peut se dire que le jour de la mise en contact des deux mondes, celui du crash automobile, quelque chose a changé du faite de la prise de conscience réciproque de l’existence d’un univers alternatif. En quelque sorte, que l’image-miroir s’est brisée et que nos doubles habitant l’autre planète se sont mis à évoluer différemment de nous (1). Peut-être que sur cette deuxième Terre, l’accident n’a pas eu lieu et que la femme et le fils de John sont encore en vie…
Peut-être Rhoda est-elle devenue cette brillante astronaute qu’elle rêvait d’être…
Intelligemment Mike Cahill et Brit Marling (scénariste et actrice principale du film) laissent la fin ouverte, afin de permettre au spectateur de se forger sa propre vision de l’oeuvre. Mais attention, il ne s’agit pas d’une intrigue tordue, capable de vous retourner les neurones, comme celle de Donnie Darko, par exemple (très bon, au demeurant). Le film reste assez limpide, axé autour d’un schéma narratif simple, mais efficace.
La partie mélodramatique, qui constitue le coeur du récit, a le mérite de ne jamais verser dans le pathos. L’émotion passe sans que la mise en scène ait recours a des effets ostentatoires, en s’appuyant sur le duo de comédiens, épatants : Brit Marling, donc – la révélation du film – et William Mapother, qui après son rôle dans la série Lost se retrouve une nouvelle fois dans une histoire d’univers parallèles.
Et la partie science-fiction est également assez sobre, pour ne pas parasiter les questions vertigineuses qu’offre une telle situation : Irions-nous à la rencontre de cet autre “nous” sur une planète à la fois connue et inconnue? Et que dirions-nous si nous rencontrions notre double parfait?
Another Earth est un film subtil qui prend le temps de développer patiemment son univers, de jouer sa petite musique particulière…
Seul bémol, la mise en scène de Mike Cahill, entachée de quelques fautes de goût comme une image caméra à l’épaule parfois tremblante, des effets de ralentis et quelques afféteries stylistiques bien inutiles. Mais comme il s’agit d’une première réalisation, on préfère retenir les qualités de l’oeuvre plutôt que ses petits défauts.
Le jury du dernier festival de Sundance en a fait de même, en attribuant au film deux prix : le prix spécial du Jury et le prix Alfred P. Sloan, qui récompense la meilleure oeuvre traitant de science ou de technologie.
Maintenant, à vous de voir si vous allez découvrir le film en salle ou si vous laissez votre double, sur l’autre Terre, aller le voir sans vous…
(1) : En me relisant, j’avoue que ça fait bizarre… Je vous assure que c’est dans le film. Je n’ai pas pris de substances hallucinogènes!
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Another Earth
Another Earth
Réalisateur : Mike Cahill
Avec : Brit Marling, William Mapother, Meggan Lennon,
Matthew-Lee Erlbach, Jordan Baker, Flint Beverage
Origine : Etats-Unis
Genre : Science-fiction intimiste
Durée : 1h32
Date de sortie France : 12/10/2011
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Studio-Ciné Live
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