Pour moi, cette course était avant tout l'aboutissement d'une belle collaboration de presque une année avec les organisateurs. Cyrille Cismondini et Brice Touret, les instigateurs de l'épreuve, m'avaient en effet contacté fin 2010 pour les aider à "renforcer" la communication de l'épreuve, créer du buzz et faire venir quelques athlètes "charismatiques" pour créer l'évènement. Avec le joli plateau déjà évoqué et plus de 220 coureurs (contre 40 l'an passé) répartis sur les différentes courses, je pense que l'objectif a été atteint. Vu comment le tout s'est passé, et même si il reste bien sûr encore plein de travail pour pérénniser et améliorer encore l'épreuve, je pense que la course est maintenant partie sur de bonnes bases pour devenir un rendez-vous automnal qui va compter dans le calendrier. Ses paysages, ses terrains techniques, son caractère à la fois très proche et très dépaysant va, je le crois, attirer de plus en plus de coureurs. De ce point de vue, je suis vraiment satisfait du travail déjà accompli et j'espère continuer l'aventure.
Pour vous parler plus en détail de l'épreuve, je vais maintenant revenir, comme de coutume, sur ma course... Bon déjà, l'avantage d'être impliqué dans l'organisation de la course et notamment chargé d'inviter quelques athlètes "d'élites", c'est qu'une bonne partie des amis sont là: Christophe bien sûr, Cyril "coincoin" , Lucas, Dawa, Maud, Karim, Mohamad constituaient les têtes d'affiches que j'avais invité... Comme d'autres, tout aussi sympa (Virginie, Irina, Patrick...) avaient quant à eu la bonne idée de gagner leur voyage sur une course partenaire, ça faisait déjà du monde. Et puis d'autres amis étaient venus s'ajouter (Alexandre, Charlie, Démétrio, Fanny, Lucile, Aline, Damien...et j'en oublie!) donc tout cela faisait que je me sentais particulièrement bien entouré pour cette épreuve. L'ambiance au chalet du CAF de l'Oumkaimeden était donc tout à fait chaleureux. Mais bon je n'étais tout de même pas non plus uniquement venu pour profiter d'une semaine entre amis. J'avais tout de même en tête d'achever ma collaboration à cette édition de l'UTAT en parcourant enfin ces 105 kilomètres qui n'avaient pas voulu s'offrir à nos foulées en mai, lors de la reco (nous avions du nous contenter d'une ballade de 30kms, à cause d'une neige exceptionnelle pour la saison). Bien sûr, jusqu'au dernier moment j'ai hésité à prendre le départ, à me contenter d'aller me balader sur le parcours et profiter autrement, en prenant des photos par exemple, du parcours: mon talon (Laurence, une des podologues présentes a bien confirmé le diagnostic de maladie d'Halgund) me fait toujours souffrir et avec l'entraînement réduit que cela et une fatigue générale importante ont impliqué, je ne suis en effet pas bien sûr de moi. Mais au final, comme de bien entendu, je prend la décision de partir, et dans implicitement aussi de terminer la course sauf gros, très gros pépin.
Après deux jours sur place (j'avais tout de même réussi tout d'abords à louper mon avion et suis resté une journée de plus à Paris, un exploit que je n'avais jamais réalisé jusqu'à présent, décidément j'étais très en forme!) je me retrouve donc au petit matin au côté de mes amis et d'un peloton bien fourni au départ de cet UTAT, juste devant le chalet et le village de tentes, à l'entrée de l'Oumkaimeden. Christophe est très détendu (ça ne change pas!), Fanny aussi, Lucas un peu plus tendu, Dawa serein (coomme d'habitude...), Aline en voie de congélation avancée (il faut dire qu'il ne fait alors pas bien chaud). Le jour se lève et la joyeuse troupe s'élance, pour 42 ou 105 kms selon le choix, sur une piste tout d'abord bien large. Nous courons... l'idée générale, vu le profil annoncé, et d'au moins tenter d'aller ainsi jusqu'au premier village, à onze kilomètres de là. Je trottine donc dans un décor typique du Haut Atlas: couleurs ocres, caillasses, végétation rases déjà à cette altitude (nous nous dirigeons tranquillement vers les 3000 mètres d'altitude). Je laisse vite partir les coureurs qui visent la victoire- je n'en suis décidément plus là en ce moment- Rachid et Christophe en tête, pour me caler dans la première partie du peloton.
Raisonnablement, je marche dès que la pente est trop forte. Je partage quelques foulées avec Aline, Fanny, d'autres, avant de former un petit duo assez classique avec mon ami Alexandre Brissard. Nous avançons à un bon petit rythme jusqu'en haut du premier col de la journée. Le soleil a envahit un ciel bleu majorelle. Il va faire chaud. Dans la première descente les sensations ne sont pas si mauvaises que ça. Mon talon me fait moins mal, je dépasse quelques coureurs dans les zones techniques. Et si le repos relatif que je me suis imposé m'avait tout de même fait du bien? En tous cas, j'arrive plutôt frais au premier poste de ravitaillement, installé à l'ombre d'un petit village, où la récolte des noix bat son plein (il faut d'ailleurs faire attention à ne pas en prendre une sur le crâne en passant!). Un petit coup de Fanta, et je repars en compagnie de Thomas, un trailer venu de Normandie et qui découvre encore les longues distances, à grandes enjambées d'ailleurs (il doit mesurer 1,90m, ça aide!). Nous adoptons un bon rythme de croisière, peut-être un peu rapide pour ma forme actuelle mais confortable. En suivant le cours de la rivière qui circule dans ce fond de vallée, et le parcours balisé, nous rattrapons Aline, accompagnée par un coureur. Ils se sont trompés de chemins et n'ont pas vu le ravitaillement... Une étourderie pas bien grave pour Pam (c'est surnom d'Aline...) , quelques mètres gagnés mais pas de remplissage de bidon mais plus embêtante pour le coureur qui a raté l'embranchement du 42 kilomètres et doit repartir en arrière. Il n'a pas envie de se lancer de façon impromptue sur le 105!
Pourtant le chemin est agréable. Nous reprenons une piste plutôt roulante où Thomas et moi courons et marchons (quand ça monte trop!) efficacement. Aline a décidé de temporiser un peu, elle n'a sans doute pas tort. Nous parvenons ainsi en bonne forme au 3e CP, où Brice, Annie Sherpa et Bohard nous donne de l'eau. Il faut faire le plein car nous entrons maintenant dans la partie la plus sauvage du parcours et le prochain ravitaillement est 40 kilomètres plus loin... en plus le soleil, désormais bien haut dans le ciel darde de tous ses rayons. Il fait vraiment chaud.
Un peu trop pour moi... Après avoir laissé filer Thomas, je suis rejoins par Alexandre, que j'avais laissé au ravitaillement. Nous reprenons notre duo et notre conversation pour un temps, mais à mesure que les lacets et la température montent, en abandonnant la vallée par une pente assez soutenue et tracée dans les cailloux, rafraîchit par quelques petites zones d'ombre accordé par des arbustes maigrelets, je commence gentiment à bouillir et doit inexorablement baisser de rythme. Mon estomac commence notamment à trouver ce traitement un peu dur pour lui. La chaleur et mon état de forme me rattrappent... Cependant j'arrive tout de même à avancer et en temporisant ainsi dès les premiers symptômes du coup de chaud je pense éviter le pire.
Ménageons la monture pour durer... Je ne suis pas bien mais heureusement nous redescendons rapidement vers une zone d'ombre et croisons à nouveau la rivière. C'est l'occasion de faire le plein d'eau et de se rafraîchir un peu. Nous sommes d'ailleurs quelques uns à nous arrêter un peu dans ce havre de verdure, sous les noyers. Je repars en compagnie de mes amis "australiens" (j'ai partagé de nombreuses foulées avec eux dans l'Outback) Charlie et Démétrio ainsi que "l'autre Charlie" (un coureur toulousain que je viens de croiser à Pibrac) pour affronter à nouveau les pentes et les cailloux.
Nous nous enfonçons encore plus loin dans le massif. Le paysage est austère. L'effort rude. J'alterne des passages pas trop mal avec des moments de vraie souffrance. Mon estomac ne semble plus vouloir accueillir grand chose. Après Amenzel, le village le plus isolé du Haut-Atlas, à quatre heures de marche de la plus proche agglomération, je me retrouve pour un temps à nouveau seul, puis rattrape Xavier Marchand au bord d'un ruisseau. Le ravitaillement est tout de même encore suffisamment loin pour veiller à nos réserves en eau.
Le parcours est très sauvage jusqu'au 68e kilomètre, et offre quelques montée bien coriaces. Le petit groupe que nous formons se reconstitue de temps à autre. Je suis soit devant soit derrière la plupart du temps, préférant toujours garder mon propre tempo. Cependant je commence vraiment à puiser dans mes réserves et mon estomac devient de plus en plus douloureux. Je vais sans doute avoir du mal à terminer...
Le ravitaillement de Azib Limket se profile enfin. Je suis à peu près cuit et j'ai surtout beaucoup de mal à manger et à boire mais ce petit moment de récupération dans le village est bien agréable. J'y retrouve la plupart des coureurs qui étaient juste devant ou derrière moi, nous n'étions pas bien loin les uns des autres. Damien se repose un peu, Thomas se déclare "mort" et pense arrêter à Imlil, Charlie a encore de la faconde. Peu après Aline arrive. Elle parait en très bonne forme. Je pense que je ne l'accompagnerai pas bien longtemps...
La nuit tombe assez vite après, et nous surprend sur les premières pentes du point culminant de l'épreuve, le Tizi n’Tarharate, qui culmine à 3500 m. Je grimpe les premiers lacets avec Charlie II, puis m'accroche un temps au rythme de Démé et d'Aline. Je sens cependant que ce sera là mes derniers efforts de "compétition" sur cet UTAT. Mon estomac est définitivement en colère et les forces m'abandonnent à mesure. Au CP 5, je retrouve Alexis, avec qui j'avais partagé la reco au mois de mai, et je dois laisser filer Démé et Pam (c'est le surnom d'Aline) vers leurs destins. Le mien, pour l'instant, sera de vomir tripes et boyaux à peu près tous les 30 mètres de dénivelé sur la dernière partie de l'ascencion. Mon coup de chaud du 40 e km m'a sans doute rattrapé et je reste tout de même dans la méforme de ma vie... Au bout de cette interminable montée, où je reste seul avec quelques loupiottes en point de mire, je parviens tout de même au CP 7, tout au sommet du col. Il fait froid, -5° environ, mais je n'ai d'autre choix que de m'arrêter pour essayer de récupérer un peu, je ne me vois pas aborder la très longue descente technique vers Imlil dans cet état.
Le médecin et l'infirmière qui ont le courage de tenir ce CP dans la rudesse des éléments s'occupent bien de moi. Au bout de 3 heures de repos sous la tente et grâce sans doute aussi à quelques médicaments, je parviens à nouveau à mâchonner une pomme. Comme deux coureurs arrivent à ce moment là, je décide de repartir. Il n'est bien sûr plus question de forcer, juste de marcher jusqu'au bout. Une deuxième course commence pour moi, plutôt une plongée dans mes pensées au coeur de la nuit.
Comme je descend plus vite que mes nouveaux compagnons, je me retrouve vite seul sur le sentier très technique. La pomme m'a redonné suffisamment d'énergie pour marcher convenablement sans trop souffrir et éviter de m'étaler sur les cailloux qui roulent sous mes pieds. Je marche ainsi longtemps, avant d'aborder une piste plus roulante pour les derniers kilomètres vers Imlil. Là, je rencontre à nouveau des compagnons de marche. Dans l'obscurité, leurs yeux brillent et elles trottinent devant moi. Ce ne sont bien sûr pas des traileuses d'un nouveau genre mais deux mules, sans muletier, qui se promènent ainsi dans la nuit berbère. Elles s'arrêteront brouter un peu plus loin, mais ce moment un peu surréaliste m'amuse bien.
Le chemin est encore long jusqu'à Imlil. J'aborde enfin les premières maisons puis traverse ce gros village qui est bien étendu. C'est le point de départ classique des trekkeurs pour l’ascension du Toubkal et ça se sent: les auberges et les restos y prolifèrent, comparé aux autres villages traversés. Les effets énergisant de la pomme ayant tout de même leur limite, j'arrive assez fatigué au ravitaillement, où cette fois je décide de ne pas rester trop longtemps. J'y discute un peu avec Brice et son épouse, et parviens à boire quelques décilitres de Fanta pour me relancer un peu.
Je branche mon MP3 pour mieux éviter de penser à la souffrance, toute relative maintenant, et me tenir un peu compagnie sur la dernière partie du parcours. Le chemin se fait moins technique. Je me perd un peu dans le flot de mes pensées, plutôt agréables au demeurant. Je pense à l'avenir, à mes projets, et au présent, pas si mauvais. J'aime tout de même beaucoup être sur les chemins...
Peu avant le dernier ravitaillement, dans le village de Amskerze, je rejoins Laïla et Edith qui se dispute la dernière marche du podium féminin. Mais je repars seul pour grimper, à un petit rythme, le dernier col du parcours. La nuit meurt sur ses pentes et le petit jour me cueille aux abords des derniers lacets. L'Oumekaimeden n'est plus bien loin. La musique, qui m'enveloppait jusqu'à lors, cesse également et c'est avec le chant des oiseaux que je termine cet UTAT.
L'Oumeka est tranquille, à peine réveillé quand je me présente sur la ligne d'arrivée où je suis accueilli par un petit comité. Dawa est là, il me félicité gentiment. Il a lui aussi connu des problèmes d'hydratation et a du s'arrêter à Imlil, épuisé. La course n'a pas été facile pour tout le monde. Mes autres amis sont bien arrivés, même si ils ont souffert dans les derniers kilomètres.
J'essaie de récupérer un peu, en dormant quelques heures et en mangeant enfin un peu plus normalement. Le doux soleil qui nous accueille ce matin va aider à apprécier ces premiers instants de récupération. Apéritif en terrasse et nous regardons passer les coureurs du 24 kilomètres, Christophe et Lionel en tête et les arrivants du 105 kilomètres. C'est bien agréable de s'arrêter, parfois...
Au délà de ma course, qui fut un peu pénible mais je suis plutôt optimiste car malgré tout j'y ai vu des signes d'un petit mieux par rapport à ma grosse fatigue du mois dernier, je retiendrai de cet UTAT les moments d'amitiés partagés et aussi, et surtout, la belle réussite de cette organisation avec laquelle j'ai collaboré depuis le début de l'année: l'objectif de participation est atteint et il n'y a pas eu de gros raté. L'épreuve, son parcours et son invitation au voyage va sans doute maintenant pouvoir s'installer pleinement dans le calendrier comme un rendez-vous originale et majeur de l'automne. Et comme le projet global de l'UTAT, qui est de permettre le développement dans cette région si belle mais encore si pauvre d'un tourisme sportif et équitable, qui respecte les lieux et les cultures, me tient à coeur, j'espère bien continuer à jouer un rôle dans son développement. C'est tout de même avec ce genre d'initiative, privée mais solidaire, qu'on pourra apporter une petit goutte d'eau à la construction de cet "autre monde possible" dont certains parlent tant...
(photos: Michel Citadelles et Fred Bousseau).