Une première page de 2012 s’est donc tournée dimanche soir, avec de belles images d’unité qui viennent démentir les espoirs de la droite et mettre du baume au cœur de tous ceux qui comptent sur les socialistes pour mai prochain. François Hollande et le PS ont devant eux quelques heures d’état de grâce médiatique, qui devront être mises à profit par les uns pour goûter leur succès, par les autres pour se consoler, par tous pour mettre en ordre de bataille le parti, désormais couronné d’un candidat indiscutable. Quelques heures – pas beaucoup plus. Déjà la droite cogne dur, lançant une campagne pour abîmer et salir son adversaire n°1. La compétition avec les autres forces de gauche va s’ouvrir. On sait combien le monde médiatique, par ailleurs, est versatile et capable de se retourner contre le PS, encensé et chouchouté pour ses primaires ces dernières semaines. Sans parler enfin de la composante essentielle de l’équation : le « peuple de gauche », superstar discrète de dimanche, et qui a désormais un rôle central à jouer. Pour peu qu’on veuille bien le lui donner.
Peuple de gauche, peuple des primaires, millions de Français qui se sont déplacés, dimanche après dimanche, pour participer au scrutin et renforcer les candidats. Ils étaient auparavant cette matière invisible entourant comme un halo le parti socialiste, cible première mais insaisissable de ses campagnes ; ils se sont durant deux week-end affichés et comptés, devenant de facto un acteur à part entière de la bataille de 2012. Leurs motivations sont sans aucun doute extrêmement diverses, et leur degré d’engagement fortement variable. Sympathisant socialiste pur sucre ? Homme ou femme aux convictions de gauche, mais sans étiquette ? Militants du Front de Gauche ou de EELV venu peser sur le résultat ? Activiste UMP pratiquant un vote tactique ? Français de droite modérée voulant en finir avec Sarkozy ? Probablement un peu de tout ça : mais personne ne croira que la participation de plus de 2,8 millions au soir du deuxième tour ne traduit pas une poussée significative autour de la nébuleuse socialiste et social-démocrate, et une adhésion en conséquence.
Qu’avons-nous vu dans les bureaux de vote ? D’abord, tout un peuple invisible « sortir de sa tanière », particulièrement dans des villes ou arrondissements gouvernés par la droite, comme celui où j’habite. Des voisins, des connaissances visuelles, des personnes que l’on n’aurait jamais soupçonnés d’être du même bord que soi (terrible pesanteur des clichés), ou même de s’intéresser à la politique, viennent voter, parfois timidement, parfois ravis et étonnés de découvrir d’autres coming out, et laissent leur contact pour être tenus au courant de la suite des opérations. Ils s’enquièrent, inquiets, de l’évolution du taux de participation. Ils donnent une première fois un euro – ou plus, assez souvent – et redonnent encore spontanément au deuxième tour, alors que rien ne les y oblige. Nous qui tenons les bureaux de vote, nous entendons souvent ces mots revenir – « c’est pour la cause, on ne gagnera pas contre Sarko sans moyens, il faut mettre ce qu’il faut pour battre la droite ». Nous découvrons aussi un degré de connaissance et d’intérêt surprenant pour la chose politique : bien loin d’un peuple de moutons qui viendrait voter au gré des sondages – comme l’en accuse parfois l’extrême-gauche – ce sont des Français conscientisés, souvent très au fait des candidatures, du fonctionnement des primaires, qui demandent après la charte des valeurs de gauche ou s’inquiètent de ne pas avoir fait telle ou telle opération de vote dont ils avaient pris connaissance sur le site officiel. Cela confirme ce que j’ai déjà écrit à de nombreuses reprises sur ce blog : le cœur des primaires, ce n’est pas le choix du candidat, c’est la politisation de la société et la polarisation du débat publique.
Tout cela a fonctionné à merveille, avec bien entendu des limites qu’il conviendra d’analyser (notamment en ce qui concerne la sociologie des votants). Une question est désormais brulante : que faire de cette force qui s’est « levée », comme dirait Ségolène, de cette force citoyenne qui n’est pas venue simplement mettre une pièce dans la machine à candidat, mais qui s’est mobilisée pour son camp ?
Le PS et ses alliés ont trouvé là, à mon sens, le sésame de 2012, l’arme populaire qui peut lui permettre de contrebalancer la puissance financière, médiatique (malgré tout) et institutionnelle d’une droite qui ne reculera devant rien pour préserver ses prérogatives. Encore faut-il réfléchir aux moyens de la mettre en mouvement. Il ne suffira pas de quelques mails de mobilisation pour appuyer telle ou telle action de campagne, ou demander de diffuser telle ou telle information. Il ne faudra pas non plus trop tarder pour recontacter et associer ces sympathisants, pour ne pas laisser retomber l’intérêt soulevé par les débats des dernières semaines. Il faudra, enfin, réfléchir à la forme à donner sur le terrain à cette mobilisation. Des comités de soutien sur tout le territoire, adossés aux sections du PS et avec une articulation claire à celles-ci (chose sur laquelle nous avions sans doute pêché en 2006-2007). Sur le web, une fédération et une mise en synergie de ceux, au sein de la fameuse « gauchosphère », qui sont déjà surmotivés pour aider le PS dans son combat face à la droite et l’extrême-droite.
Au fond, c’est la question de l’organisation du PS qui est reposée. Ces primaires peuvent être, comme je le disais il y a quelques semaines, l’occasion de son ouverture et de sa revivification, et non sa mort comme le prédisent quelques esprits chagrins. Mais ce sujet doit être mis sur la table tout de suite, au risque, sinon, de voir les vieux réflexes reprendre le dessus, et celles et ceux qui ont contribué au succès des primaires retourner se fondre dans la masse de la population, et revenir à leur statut d’électeur invisible. Les prochaines heures, les prochains jours seront déterminants.
Romain Pigenel